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Un homme
marchait le long du chemin. Il était très maigre et très
mal habillé. Son bissac à l' épaule, un bâton
à la main, il représentait le type parfait du chemineau tel
que nous l' ont décrit Jean Richepin et tant d' autres. Sa barbe blonde mélangée de nombreux fils d' argent témoignait que l' homme avait dû être très beau au temps de sa jeunesse, mais que l' âge avait tracé son sillon sur lui. Parfois ses lèvres entr'ouvertes laissaient sortir un couplet cueilli au hasard des promenades. Dans cette chanson, une vraie chanson de chemineau. il était surtout question des beautés de la nature, de la belle couleur de l' herbe, de l' éclat du soleil, du roux des blés mûrs se courbant sous le vent. |
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Et cette
musique, chantée par une voix fatiguée, heurtée par
de nombreux accidents de la campagne, semblait donner un regain de courage
à l' homme qui allait partout, mais nulle part. Ce chemineau n' était pas sale et crasseux comme le sont, en général les traîneurs de routes. Bien au contraire, l' homme paraissait relativement soigné. Il avait un col bleu à sa chemise, un col un peu passé, certes, mais qui pouvait laisser supposer que cet errant n' était pas encore tombé au dernier degré de la pauvreté. Et il faut bien le dire aussi, ses souliers étaient pourvus de bonne semelles qui étaient capables de braver l' eau en cas de pluie. Donc, l' homme marchait le long du chemin. Il était midi. |
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Le soleil
dardait ses rayons sur la campagne environnante et faisait chatoyer de mille
feux l' eau de la rivière qui coulait le long de la route. Le chemineau, marchant toujours, arriva auprès d' un boqueteau planté au milieu de la plaine. Il prononça à mi-voix. les paroles suivantes - Arrêtons-nous ici. Il doit faire bon, là-dessous, pour déjeuner. Avant dit, il se dirigea vers le boqueteau, pénétra sous les ombrages bien frais et, ayant retiré son bissac de son épaule et l' ayant posé à terre, il s' étendit à son tour. Un ruisselet passait à proximité qui allait se jeter dans la rivière. Quand il se fut reposé un instant et essuyé les gouttelettes de sueur qui perlaient sur son front et sur ses tempes, notre homme se leva. |
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Il se dirigea
vers le ruisseau ; et, s' accroupissant, il plongea ses deux mains dans
l' eau bien fraîche. Puis serrant bien les doigts, il approcha les mains l' une contre l' autre, et les sortit de l' eau. Il but ensuite cette eau claire et limpide cueillie dans le creux de ses mains. Puis il renouvela son geste par quatre fois et respira longuement. - L' eau est vraiment la boisson des dieux, s' exclama-t-il. Il vint s' asseoir de nouveau à côté de son sac qu' il ouvrit. Il en sortit des provisions, à savoir : un pain tout doré, un morceau de viande rôtie, quelques pommes de terre rondes cuites au four et un morceau de fromage de gruyère. Il mangeait de fort bon appétit, malgré la chaleur. |
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Ayant enfin terminé
son repas, il bourra sa pipe avec le tabac tiré de la blague, l'
alluma et fuma ; étendu sur le dos. Il ne fuma pas longtemps. Le sommeil le prit. Il s' endormit donc la pipe entre les dents. Il dormit ainsi jusqu' au soir. En ouvrant les yeux, il eut comme une impression étrange. En effet, c' était la première fois qu' il sortait du sommeil dans ce petit bois. Et, de plus, avec la nuit venue, le paysage n' était plus le même. Il s' assit sur son séant et regarda autour de lui cherchant à percer la nuit qui l' enronnait de toute part. |
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- Où suis-je donc
? murmura-t-il. C' est drôle, je ne reconnais pas ce pays. Il chercha dans sa tête essayant de rassembler ses souvenir. Il y parvint enfin après plusieurs minutes. - Je dois maintenant chercher un toit pour m' abriter. Mais comme la nuit est belle, je vais faire encore un petit bout de chemin. Il ferma son bissac, le jeta sur son dos, et regagnant la route, reprit son voyage sans fin. De son bâton. il frappait, au passage. l' herbe qui poussait car sur le talus de la route. Il marcha ainsi deux heures durant. Et neuf heures sonnaient à l' église de Chapendu lorsqu' il pénétra dans ce village. Il traversa le village et le dépassa même de plusieurs centaines de mètres et il parvint à une petite ferme, plantée à flanc de coteau qui semblait inhabitée ou, du moins, les habitants devaient être endormis. |
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Cette fois, il s' arrêta
après avoir pris la précaution de regarder de tous côtés
pour s' assurer que personne ne remarquait son manège. Puis il s' approcha de la porte et frappa quatre coups. Un long temps se passa sans qu' aucun bruit intérieur ne vint déceler soit la présence d' un être vivant, soit que quelqu' un ait entendu le signal. Enfin, sans que le chemineau ait eu besoin de recommencer à frapper, le même signal, quatre coups, fut frappé sur la porte, mais de l' intérieur, cette fois. Alors, l' homme frappa de nouveau, mais trois coups, cette fois. Et la porte s' ouvrit pour lui permettre d' entrer. Ce qu' il fit très rapidement. |
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C' était
un homme qui avait ouvert. Dès que le chemineau fut entré,
son hôte lui demanda : |
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- Ne te donne pas de
peine, mon pauvre Joseph, fit-ils, ils ne sont pas là. |
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- Alors, je ne laisse rien. - A ta guise. - Ils sont beaux. Tu ne veux pas les voir ? - Si. Tiens, voilà ton argent tout de même. Joseph rendit à Gaspard huit billets de mille francs et cinq billets de cent que le chemineau enfouit aussitôt dans sa poche. Alors, il tira de sa poitrine un petit sachet qu' il ouvrit. Le sachet contenait de très beaux diamants. Il étala les diamants sur la table. Joseph s' en saisit avec avidité et les contempla longuement. - S' ils ne te plaisent pas, fit Gaspard, tu peux me les rendre, je te rends ton argent. - Non, je les garde.. Et même, si tu veux tu pourras m' en apporter encore. Il avait à peine achevé ces mots qu' il se sentit saisi à la gorge. C' était le vieux chemineau qui, se redressant tout à coup, et faisant montre d' une vigueur dont on ne l' aurait pas cru capable, faisait tous ses efforts pour le réduire à l' impuissance. |
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En quelques minutes,
Joseph fut ligotté. |
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Il l' ouvrit et sortant
un sifflet de sa poche, il en tira deux sons prolongés. |
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Mais on lui mit les menottes. *** Depuis quelques temps, de nombreux vols de bijoux
étaient commis dans la région, dont on ne pouvait pas arrêter
les coupables. |
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Et il avait songé
que, s' il parvenait à surprendre le recéleur en flagrant
délit, il aurait gagné la partie. Après une longue surveillance, il avait acquis la certitude que le recéleur n' était autre que Joseph, le pauvre paysan. Alors, il avait pris les allures d' un chemineau et, à plusieurs reprises, était allé lui vendre des pierres précieuses dans des conditions telles qu' il pouvait croire qu' elles étaient le fruit d' un larcin. Puis, lorsqu' il avait eu la preuve absolue qu' il se trouvait en présence d' un malhonnête homme, il avait prévenu son camarade. Celui-ci s' était dissimulé dans un taillis voisin de la maison de Joseph et avait attendu le signal pour accourir. Nous avons vu que le plan de l' inspecteur Mazoui avait parfaitement réussi. Joseph avoua tout. Il se livrait à son honteux trafic depuis plusieurs années. Il donna le nom de tous ses complices qui furent arrêtés. |
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Cependant, bien qu' il fut
pris en flagrant délit de recel, il avait été impossible
de savoir l' emplacement exact de la cachette où Joseph enfermait
les joyaux qu' il achetait d' une façon aussi particulière. De nombreux policiers avaient opéré, à plusieurs reprises, des perquisitions, toujours sans aucun résultat. Et pourtant, l' enquête habilement menée par le commissaire spécialement chargé de cette affaire, avait lumineusement démontré que le recéleur n' avait pas encore revendu une seule pierre précieuse. Et comme le montant des vols s' élevait à plusieurs centaines de milliers de francs, il était indiscutable que les bijoux devaient encore se trouver dans la maison où le voleur avait été surpris et capturé |
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Mazoni fut de nouveau chargé de s' occuper
de rechercher le produit des larcins. |
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Imp
, Du Petit Journal , Paris |
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Petit Journal Illustré |