Jojo, René et Lulu, dans la cour de l' école, discutent avec animation. La veille au soir, leurs parents les ont emmenés à une représentation de gala du cirque Harry Coblan, de passage dans la ville. Ils se sont amusés comme des petits fous. Un merveilleux acrobate, en particulier, a fort intéressé les trois enfants, surtout René et Lulu.
- Je ne comprends pas, dit René, comment un homme peut exécuter de pareils tours.
- Et sans se casser la figure, souligne Lulu sur un ton admiratif.
- Bah ! réplique Jojo en haussant les épaules, ce qu' il fait n' est pas si difficile que ça...
- Ah ! oui ? Eh bien ! essaye donc un peu de l' imiter, rien que pour voir?
Jojo est orgueilleux et se croit très malin, aussi répond-il en se bombant la poitrine comme un lutteur de foire

- Parfaitement, je l' imiterai, et vous verrez si je ne suis pas aussi capable que lui.
René et Lulu sourient d' un air ironique :
- Oui, tu dis ça, tu dis ça, mais tu ne le feras pas. Jojo devient rouge comme un coq.
- Jeudi prochain mes amis, vous serez les témoins de mes acrobaties et...
Mais à ce moment, le tambour du lycée donne le signal de la rentrée en classe.
La récréation est terminée.
- Nous verrons ça jeudi ! m' écrient René et Lulu sceptiques.

Le jeudi suivant, Lulu et René, qui n' ont pas oublié les promesses de leur camarade Jojo, viennent le relancer jusque chez lui.
- C' est aujourd' hui que tu dois nous montrer ce que tu sais faire ?
- Parfaitement, je vous suis. Nous allons aller dans les champs pour ne pas être dérangés.
Les voilà partis tous les trois. Ils sortent de la ville. Jojo ayant découvert un petit carré d' herbe verte, commence déjà par exécuter une petite pirouette, histoire de s' entraîner.
- Cela n' est pas bien difficile, dit Lulu, j' en fais autant, moi...
Et pour prouver à Jojo qu' il est aussi adroit que lui, il fait la pirouette à son tour.
Hélas ! un craquement sinistre retentit. Lulu a fait un tel effort que les boutons de ses bretelles n' ont pas résisté et ont sauté tous en même temps.
Le pauvre Lulu est désolé, car il perd sa culotte.
Jojo et René, après avoir ri de bon coeur, viennent à son secours.
- Console-toi, Lulu, j' ai de la ficelle dans ma poche, ça remplacera tes bretelles.
Les gamins poursuivent leur chemin...
Soudain Jojo avise un poteau télégraphique qui a bien quatre mètres de hauteur. Il se tourne vers ses amis.
- Je vais exécuter devant vous une première acrobatie.
- Que vas-tu faire ?
- Grimper au sommet de ce poteau télégraphique.
Jojo, ayant posé son béret à terre, empoigne le poteau à pleins bras et commence l' ascension.
Le premier mètre est franchi en moins de deux minutes. Pour le deuxième, la montée ralentit déjà... Pour atteindre le troisième c' est encore plus pénible. Le petit acrobate sue à grosses gouttes et souffle comme un boeuf...
- Tu n' arriveras pas jusqu' en haut ! s' écrie René.
Ces paroles stimulent Jojo qui, dans un effort suprême, se hisse jusqu' au sommet du poteau.
- Victoire ! hurle-t-il, hip ! hip ! hourrah !
Et, après s' être reposé une minute, il se laisse glisser à toute vitesse. Fou d' orgueil, il regarde ses compagnons d' un air satisfait
. Mais ceux-ci ne semblent nullement étonnés du triomphe de l' acrobate.
Au contraire, ils se tordent de rire comme s' ils se moquaient de lui. Jojo fronce les, sourcils
- Qu' est-ce que vous avez ?
L' hilarité des deux mioches redouble. Jojo est furieux
- M' expliquerez-vous enfin pourquoi vous rigolez ainsi ?
René et Lulu se calment tout de même.
- Mon pauvre Jojo, tu ne vois donc pas ? Regarde un peu ton tablier.
Le jeune acrobate obéit et pousse un cri de colère. Son tablier, un tablier tout neuf, est maculé de peinture verte. Le poteau télégraphique, en effet, avait été fraîchement repeint...
- Je suis joli, à présent, se lamente-t-il, que va dire ma mère ? Il demeure un instant décontenancé, puis a un geste d' insouciance

- Oh ! elle ne s' en apercevra peut-être pas, et puis je dirai que je me suis assis sur un banc nouvellement repeint... Cela peut arriver à tout le monde...
N' empêche que la première acrobatie du présomptueux Jojo est loin d' être un grand succès.
- Vous ne perdez rien pour attendre, dit-il tout de même à ses camarades, je vais prendre ma revanche.
Il y a dans les environs un petit bois au milieu duquel, dans une clairière, est installé un portique de gymnasque avec cordes lisses, anneaux et trapèze. Ce portique appartenait autre fois à un petit restaurateur champêtre où les citadins venaient se rafraîchir en été, le dimanche.

Mais le restaurant n' existe plus depuis longtemps. Néanmoins, le portique subsiste toujours. Seulement il est un peu vermoulu et les agrès ne sont plus guère solides.
C' est là que Jojo, désireux de montrer sa souplesse, conduit ses deux compagnons.
- Je vais d' abord monter à la corde lisse à la force des poignets.
Il s' élance, saisit la corde et tente de grimper. Mais c' est beaucoup plus difficile qu' il ne croyait et il peine comme un malheureux. Le spectacle n' a rien de très beau. Jojo s' agite avec la grâce et la légèreté d' un hippopotame...
Lulu et René ne lui ménagent pas les quolibets :
- Hé ! l' acrobate ! faut-il aller te chercher une échelle ?
- Tu aimerais peut-être mieux un ascenseur ?
- Une autre fois, préviens-nous, on fera installer un escalier.
Jojo, harassé, exténué, se sent faiblir de plus en plus... Arrivera-t-il en haut de la corde ?

C' est peu probable !
Tout à coup, comme il était à peu près à la moitié de la corde, celle-ci, vieille et usagée, se rompt sous le poids de l' acrobate qui ramasse une bûche phénoménale...
Heureusement, le sable qui se trouve dessous amortit le choc et Jojo a plus de peur que de mal. Il se relève tout penaud, mais, ne voulant pas que ses camarades se moquent de lui, il se rengorge aussitôt et affirme d' un air fanfaron :
- Oh ! vous savez, je serais sûrement arrivé à grimper tout en haut de la corde et même sur le portique si elle ne s' était pas rompue brusquement...
Lulu et René hochent la tête...
- Jusqu' ici, mon vieux Jojo, tu ne t' es guère distingué et tu n' as pas encore tout à fait égalé l' acrobate du cirque Harry Coblan.

- Bien sûr, parce que je n' ai pas eu de chance, mais vous allez voir. je vais m' attaquer aux anneaux, à présent.
Il prend son élan afin d' attraper les deux anneaux, mais rate son coup et ramasse une nouvelle bûche, à la grande joie des deux enfants qui s' amusent follement.
- Vous n' avez pas besoin de rire, grommelle-t-il, les plus grands acrobates manquent quelquefois leur coup...
Et, sans se décourager, il tente une deuxième essai...
Hop ! cette fois, il a saisi les anneaux de fer... Hop ! le voilà la tête en bas... Hop ! il passe ses deux pieds dans les anneaux et se balance avec aisance...

- Tiens ! tiens ! murmure René, ce n' est pas mal, ça !
- Je n' en ferais sûrement pas autant, déclare Lulu.
- Il est tout de même bon en gymnastique.
Jojo, tout fier de ce succès, continue à se balancer puis, quand il estime avoir suffisamment prouvé ses qualités d' acrobate, il essaye de retirer ses pieds des anneaux... Hélas !
Que s' est-il passé ?
Plus moyen de s' en dépêtrer... Impossible de retirer mes pieds...
Il commence à s' inquiéter et même à s' affoler :
- René, Lulu, au secours, je ne peux plus enlever mes pieds des anneaux !

Les deux enfants se précipitent et font leur possible pour secourir leur camarade. Peine perdue, les anneaux refusent de glisser... L' infortuné Jojo est-il donc condamné à demeurer ainsi la tête en bas jusqu' à la fin de ses jours ?
Enfin, René a une idée... Il sort un couteau de sa poche et tranche les deux cordes... Jojo, naturellement, s' étale de tout son long... Mais il commence à en avoir l' habitude... Le principal, n' est-ce pas, c' est de ne plus être la tête en bas, position amusante, certes, au début, mais qui devient fort désagréable si elle s' éternise...
Il ne reste plus qu' à retirer les anneaux qui encerclent les mollets du jeune acrobate. Lulu et René y parviennent avec bien des difficultés.
Un autre que Jojo aurait compris que le métier d' acrobate ne s' apprenait pas en une journée, mais lui s' entête et, au lieu d' arrêter là ses périlleux exercices, il décide de continuer par une voltige au trapèze.
Mais il n' a pas plus de chance...
La corde n' étant pas plus solide que les autres, se casse à la première tentative de rétablissement et le malheureux apprenti acrobate tombe une fois de plus...
Il commence à se sentir quelque peu courbaturé.
Ça ne fait rien, résolu à crâner jusqu' au bout, il annonce à ses amis qu' il va exécuter devant eux le clou de la soirée : le passage de la rivière en équilibre sur une corde...
Abandonnant le vieux portique et ses agrès vermoulus, les trois garnements se rendent sur la berge de la rivière voisine.
- Il va falloir que vous m' aidiez, dit Jojo.
- Avec plaisir, que faut-il faire ?
Jojo sort de sa poche une grosse corde très longue.
- Nous allons attacher l' extrémité de cette corde à un arbre se trouvant de ce côté de la rivière.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Jojo grimpe à un arbre et attache solidement la corde autour du tronc.
- Maintenant, mes amis, il faut que vous passiez sur l' autre rive, je vous lancerai la corde et vous l' attacherez à cet arbre qui est là-bas.
- Bon ! et que feras-tu, toi ?
- Eh bien ! si j' avais eu un parapluie ou une ombrelle, j' aurais pu traverser la rivière en marchant sur la corde comme le faisait l' acrobate au cirque l' autre soir, seulement, je n' ai ni ombrelle ni parapluie...
- Alors ?
- Alors, je me contenterai de la traverser à la force des poignets en me suspendant à la corde.
René grimpe à un arbre et y attache la corde, de sorte qu' elle passa par dessus de la rivière, à deux mètres de hauteur environ.
-Attention ! crie Jojo, je vais traverser. Regardez bien !
Et le voilà qui se suspend à la corde et commence son dangereux exercice...
Or, sur la route voisine, un jeune homme du pays, Ernest Lacomète, apprenait à conduire une automobile.
Assis sur le siège en compagnie d' un professeur, il écoutait les conseils de celui-ci.
Puis l' apprenti chauffeur s' installe à la place de son professeur.

L' auto démarre et avance en zigzaguant quelque peu. Soudain, un camion énorme surgit au coin de la route, venant en sens inverse. Ernest Lacomète, terrifié, donne un brusque coup de volant à droite...
Patatras ! la voiture fait une embardée terrible et vient heurter un arbre qui, déraciné, s' incline au-dessus de la rivière... Catastrophe ! Cet arbre est celui auquel est attachée la corde de Jojo.
L' infortuné gamin, qui se trouvait justement au milieu de la rivière, prend un bain forcé... Il a de l' eau jusqu' au cou...
Heureusement, comme il a eu la présence d' esprit de ne pas lâcher la corde, il réussit tant bien que mal à se hisser sur la berge...
Jojo, la mine déconfite, jure mais un peu tard qu' il n' essayera plus de se faire passer pour un acrobate...
C' est un métier vraiment trop ingrat !

Imp , Du Petit Journal , Paris
Petit Journal Illustré