Chaque jeudi, pour jojo et ses amis Lulu et René le même problème se pose:
- Qu'allons-nous faire de notre après-midi de congé ?
Certes, les trois gamins ont suffisamment d'imagination pour résoudre la question. Jojo, surtout, trouve toujours des idées mirobolantes, soit qu'il propose de faire du cinéma, du théâtre, du sport, du dressage d'animaux sauvages ou des acrobaties sensationnelles. Néanmoins la discussion est souvent très longue, car les avis sont partagés.
Mais aujourd'hui tous trois sont tombés d'accord immédiatement sur l'emploi de leur journée, et c'est sans la moindre hésitation qu'ils ont décidé d'aller dépenser à la fête le contenu de leur tirelire.
Car c'est la fête de Rigodon.
Des forains sont venus s'installer sur la place du pays. Ils y resteront une quinzaine de jours.
--On va s'amuser comme des petits fous ! s'écrie Jojo, tout joyeux à l'idée des bons moments qu'ils vont passer.
Aussitôt après avoir déjeuné, s'étant donné rendez-vous devant la maison de Jojo, les trois garçons, les poches bourrées de gros sous, se dirigent d'un pas pressé vers la place de Rigodon.
Il y a foule sur cette place. Songez qu'elle est encombrée de baraques de toutes sortes, de manèges de chevaux de bois, de bicyclettes, d'avions et même de ballons. Un cirque, une ménagerie, des montagnes russes, un toboggan constituent les principales attractions de cette grande kermesse

--- Voyons, murmure Jojo, que diriez-vous, histoire de nous mettre en train, d'une petite partie de balançoires ?
- Excellente idée ! réplique René. Qu'en penses-tu, Lulu ?
- Oh ! moi, soupire ce dernier, je ne veux pas monter sur les balançoires.
- Pourquoi ?
- J'ai peur de tomber, et puis, ça me donne mal au coeur.
-- Ah ! dit Jojo en haussant les épaules, tu ne changeras donc jamais, mon pauvre Lulu. Enfin, si tu as peur, tu nous regardera
~ N'est-ce pas, René?

-- Oui, si tu veux, on prendra chacun notre balançoire et on fera un match à celui qui montera le plus haut.
- Entendu.
Deux minutes plus tard, René et Jojo sont installés chacun dans une balançoire en forme de bateau. Lulu, plus prudent, s'est assis sur un banc, à l'écart.
- Attention ! crie Jojo à René, je démarre !
- Moi aussi... Un, deux, trois !
Ils commencent à se balancer, prenant peu à peu de la hauteur.
- Comme ils montent haut ! songe Lulu, effrayé.
Les deux enfants, en effet, s'en donnent à coeur joie et les balançoires atteignent presque la cime des arbres de la grande place.
- Hé là ! Hé là ! crie le patron aux deux imprudents, faudrait voir à ne pas monter si haut. vous allez casser mon matériel et votre physionomie par-dessus le marché.
Mais ni Jojo ni René ne l'écoutent... Ils sont tout à leur match et
chacun cherche à dépasser son adversaire.
- Je vous dis d'y aller un peu moins fort, hurle le patron qui commence à s'inquiéter sérieusement.
- Ne vous en faites pas, réplique Jojo, on est solide.
Il avait à peine terminé cette phrase qu'il perd brusquement l'équilibre et est projeté hors de la balançoire.
Lulu, le patron et des badauds poussent ensemble un long cri d'épouvante... Le jeune garçon va sans doute se blesser grièvement.
Mais non, la tragédie tourne au comique. Jojo, après un double saut périlleux
bien involontaire, vient terminer sa trajectoire sur la tente du cirque Mirliton, laquelle amortit le choc.
Il n'a pas de mal, mais il se demande comment il va faire pour descendre de là lorsqu'un bruit sinistre retentit : la toile craque sous son poids et se déchire, Jojo disparaît à l'intérieur du cirque.
Nouvelle angoisse des assistants...
Mais, cette fois encore, le drame tourne au burlesque, Jojo étant juste au-dessus du centre de la piste où un éléphant savant évolue pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Jojo, au cours de sa chute, rencontre une corde lisse. Il s'y agrippe instinctivement et reste ainsi suspendu à un mètre au-dessus de la tête de l'éléphant.
Le pachyderme, un instant étonné, lève les yeux, puis dressant sa trompe, saisit Jojo par la taille. Celui-ci essaye vainement de ne pas lâcher la corde, mais l'animal est plus fort et l'attire irrésistiblement vers lui.
Dans la salle, les spectateurs, qui ne se sont pas rendus compte qui ne s'agit d'un accident applaudissent à tout rompre, croyant que cette attraction est prévue au programme.
Jojo, lui, n'a pas envie d'applaudir... Il pleurerait plutôt et se demande avec inquiétude ce que l'éléphant va faire.
Et soudain, épouvanté. il hurle comme un damné. L'animal, en effet, s'amuseà le faire tournoyer au bout de sa trompe. Le personnel du cirque tente de calmer l'éléphant. Mais Toby est têtu. I l refuse de se laisser approcher.
Les spectateurs, qui s'imaginent toujours qu'on est en train de jouer une pantomime comique, se tordent de rire sur les gradins.
Vraiment, on leur en donne pour leur argent !
Et quand Toby, jugeant sans doute que la plaisanterie a suffisamment duré, plonge l'infortuné Jojo dans un baquet plein d'eau, l'enthousiasme de la foule devient du délire. On trépigne, on crie, on applaudit :
- Bravo ! Bravo ! Bis ! Bis Encore !
Mais le clown malgré lui ne tient pas du tout à recommencer. Dès, que l'éléphant se décide enfin à le lâcher définitivement, il sort de son baquet et, trempé jusqu'aux os, s'enfuit à toutes jambes vers la sortie.
- Hé là ! Hé là ! clame alors le directeur du cirque. Où courez-vous donc comme cela, jeune homme ? Il faudrait un peu que vous, nous donniez quelques explications.
Jojo, confus, s'arrête.
--D'où venez-vous ?
- Je... J'étais en train de me balancer lorsque j'ai perdu l'équilibre et j'ai été projeté sur la toile de votre cirque.
Le forain n'en croit pas un mot.
- Ouais ! gouaille-t-il, cela ne prend pas, mon ami, vous vouliez tout simplement assister gratuitement à la représentation et vous êtes grimpé sur la toiture de mon établissement.
- Je vous assure...
- Suffit, vous avez causé des dégâts, cela vous coûtera cher.
Heureusement pour Jojo, le propriétaire des balançoires survient à ce moment, suivi de René et Lulu
Il confirme le récit du gamin.
Alors, le directeur du cirque qui, au fond, n'est pas un mauvais bougre, consent à ne pas donner suite à sa menace.
- Toby, dit-il, s'est chargé de vous punir comme vous le méritez. En somme les dégâts ne sont pas trop graves. Un simple rafistolage et on n'y verra plus rien, Allez, jeune homme, et que cette aventure vous serve de leçon à l'avenir.
Jojo, pensez-vous, après cet accident, n'a sans doute plus voulu retourner à la fête ?. Profonde erreur... Le premier moment d'émotion passé, il s'est dit qu'après tout c'était un exploit sensationnel qu'il venait d'accomplir.
En somme, a-t-il déclaré à se s deux acolytes, j'ai obtenu un succès considérable. Savez-vous qu'on, m'a applaudi ?
-- Pas possible !
-- Les acrobates, les clowns et les écuyers en étaient verts de jalousie. Et je suis certain que, si je voulais, je n'aurais qu'un mot à dire.
Pour que le directeur m'engage dans sa troupe.
- Pourquoi ne le dirais-tu pas, ce mot ?
- Parce que mon père s'opposerait certainement à cette décision... C'est égal, c'est une belle occasion de devenir célèbre que je rate là... Enfin, n'en parlons plus. Je vais retourner à la maison pour changer de linge et de vêtements et je viens vous rejoindre à la fête.
-- Nous monterons encore sur les balançoires ?
-- Ah ! non, je préfère un autre genre de sport.
Une heure plus tard, Jojo, séché et rhabillé, rejoignit René et Lulu alors qu'ils étaient en train de regarder un monsieur tirer à la carabine sur des pipes en terre.
- Il est adroit, ce monsieur ! observa René.
- Oh ! pas tant que moi ! répliqua orgueilleusement Jojo.
- Tu sais tirer, toi ?
- Très bien. Tu vas voir.
Et, à son tour, il demanda une carabine, épaula et visa une superbe pipe suspendue à un fil.
- Pan !
La pipe demeura intacte. Jojo en parut fort surpris.
- Oh ! je l'ai ratée parce que je suis encore un peu ému à cause mon accident de balançoire, mais vous allez, voir cette fois...
Il tira de nouveau, mais ne fut pas plus heureux. Il recommença... Dix balles y passèrent ainsi sans qu'il parvint même à effleurer la pipe.
Lulu et René souriaient ironiquement. Vexé, Jojo rendit la carabine.
- Cette arme ne vaut rien, elle est complètement déréglée.
- Hein ? protesta le tenancier de la baraque, vous dites qu'elle ne vaut rien, ma carabine... Eh bien ! moi, je vais vous prouver le contraire.
Et, ayant rechargé l'arme, il visa à son tour. La pipe, du premier coup, vola en éclats. Jojo, rouge de confusion, tourna le dos sans ajouter un mot.
Il était écrit que la journée, pourtant fertile en incidents, ne se terminerait pas sans de nouvelles mésaventures.
Et ce ne fut pas seulement Jojo qui en fut la victime. Vous allez en juger. Ils venaient de quitter le tir aux pipes quand ils passèrent devant un marchand de crème Chantilly.
Lulu, qui est très gourmand, s'arrêta l'oeil brillant de convoitise.
-- Un cornet de crème, mon jeune monsieur ? demanda le marchand.
Lulu hésita.
-- Allons, murmura Jojo, puisque tu aimes tant la crème et que tu en as envie, achètes-en donc pour dix sous.
.-- Quel parfum désirez-vous ?
--Heu ! ...je ne sais pas, moi.
-- Vanille, pistache, chocolat, caramel, café ?
Lulu était toujours indécis. Il se pencha sur un des grands récipients contenant de la crème.
Or, à côté de la baraque, se trouvait un jeu de massacre où un jeune homme essayait son adresse...
Ou plutôt sa maladresse, car une des balles qu'il lançait, au lieu d'aller frapper un des mannequins, vint tomber en plein dans le récipient que Lulu contemplait.
Naturellement, la crème jaillit à la figure du gamin qui en fut littéralement recouvert. On eût dit un masque de Pierrot !..., Jojo et René s'esclaffèrent, cependant que Lulu, ayant sorti

son mouchoir, réparait tant bien que mal les dégâts. Eh bien ! le croiriez-vous, il acheta tout de même un cornet de crème...

***

- C'est tout de même curieux que nous n'ayons pas plus de chance! dit Jojo.
Un passant avait entendu cette réflexion. Il posa la main sur l'épaule de Jojo.
- Mon enfant, déclara-t-il, j'ai été témoin de toutes vos mésaventures. La chance n'y est pour rien. Si vous vous étiez conduits en garçons sages et raisonnables, il ne vous serait rien arrivé de fâcheux. Méditez bien ces paroles...
Et les trois amis s'éloignèrent, craignant d'autres malheurs...

Imp , Du Petit Journal , Paris
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