Connaissez-vous la nouvelle ? Jojo, notre ami Jojo, a traversé l'Atlantique en avion avec René et Lulu comme passagers !
Vous souriez ? Vous avez l'air sceptique ? Pourtant c'est un fait Jojo a réussi ce glorieux exploit.
En rêve, il est vrai, mais il l'a réussi tout de même et vous allez en lire le merveilleux récit.
L'oncle Antoine, de passage à Rigodon, avait dîné à la maison ce soir là et la conversation avait roulé sur les raids transatlantiques et le magnifique exploit de Lindbergh.
Jojo écoutait cela avec le plus grand intérêt. Il songeait :
- Ah ! comme je voudrais être aviateur, moi aussi, pour franchir l'Océan d'un seul coup d'aile et connaître la gloire.
Il y pensait encore, un peu plus tard, en se glissant entre les draps du lit et, dès qu'il se fût endormi, tout de suite il se mit à rêver qu'il était aviateur et qu'il se préparait à tenter la traversée Paris-New-York.
Mais voici son rêve :
Jojo avait passé son brevet de pilote et avait acheté un superbe monoplan spécialement aménagé pour la traversée de l'Atlantique. Il atterrit un beau jour à Rigodon, dans le champ du père Arthur, et sauta sur le sol. Il était vêtu d'un élégant costume d'aviateur et les premiers admirateurs qui s'approchèrent de l'avion furent ses amis René et Lulu.
- Vive Jojo ! Vive le grand aviateur Jojo ! s'écriaient-ils, enthousiastes.
Jojo les accueillit avec un petit air protecteur.
- Mes bons camarades, leur dit-il, si je suis venu à Rigodon, c'est pour vous chercher.
- Nous chercher ?
- Oui, je veux vous emmener à New-York en avion !
- Hein ?
- Parfaitement, nous sommes inséparables. Il n'y a pas de raisons que vous me laissiez partir tout seul !
- C'est fort juste, approuva René, nous te suivrons en Amérique !
Lulu, lui, n'était pas emballé du tout.
- Et si nous faisons un plongeon dans la mer ?
- Eh bien ! nous dirons bonjour aux poissons !
- Non, non, je ne veux pas y aller, j'ai peur, j'ai peur !
- Il n'y a rien à faire, dit Jojo, j'ai décidé que tu viendrais, il faut que tu obéisses. Et nous allons partir tout de suite pour l'aérodrome du Bourget.
A ces mots, Lulu, épouvanté, s'enfuit à toutes jambes, mais René et Jojo se lancent à sa poursuite, le rattrapent bientôt et le ramènent de force auprès de l'appareil.
- Mettons-le dans la carlingue !
Lulu se débat comme un petit diable. Il ne veut rien savoir pour monter.
- Voyons, laisse-toi faire, dit Jojo. Et puis, tiens, si tu as peur, on va t'attacher un parachute sur le dos.
Ces mots rassurent Lulu.
- Ob ! si j'ai un parachute, alors, je veux bien !
On passe les courroies d'un parachute sous les épaules de Lulu. Alors, il consent de lui-même à monter dans la carlingue. Il se place à l'arrière tandis que René monte à côté de Jojo.
Celui-ci met le moteur en marche. L'hélice tourne. L'avion roule sur le champ du père Arthur, puis décolle aisément et monte dans le ciel.
Ils sont maintenant à mille mètres d'altitude.
- Attention, dit soudain Jojo à René, tiens-toi bien, je vais faire un looping !
Mais il oublie de prévenir le malheureux Lulu qui, au moment où l'avion se retourne,
est précipité dans le vide, la tête la première. Il pousse un hurlement de terreur. Heureusement, son parachute s'ouvre automatiquement et le voilà qui descend lentement dans les airs.
- Mon Dieu ! que c'est haut ! soupire-t-il, j'ai le vertige !
Allons bon ! s'écrie Jojo, voilà Lulu qui est tombé, maintenant, il va falloir redescendre le chercher.
Le parachutiste, cependant, se rapproche du sol. Il n'est plus qu'à une cinquantaine de mètres de hauteur.
- Où vais-je me poser ? se demande-t-il avec angoisse. Il atterrit sur la cime d'un gros arbre et y resta suspendu.
- A moi ! Au secours ! clame-t-il.
Jojo et René, qui ont suivi la descente des yeux, se posent sur un terrain voisin, sautent de l'appareil et accourent à la rescousse.
Il leur faut grimper à l'arbre pour délivrer Lulu. Ce dernier, qui a eu une peur terrible, s'évanouit.
- Tant mieux, dit Jojo, cela nous sera plus facile pour le remettre dans l'avion et pour repartir.

Ils le transportent à nouveau dans la carlingue, l'y attachent solidement, et repartent dans la direction du Bourget.

****

C'est le matin du grand départ. Une foule considérable entoure l'aérodrome du Bourget. Jojo, René et Lulu, qui ont revêtu tous trois un costume d'aviateur, posent complaisamment devant les photographes et répondent aux journalistes qui leur posent de questions.

- Je pense être à New-York demain matin pour y prendre le café au lait, déclare Jojo.
Puis il regarde sa montre.
- C'est l'heure ! allons, les amis, en route !
Deux minutes après, l'avion, qui, à l'instar de celui de Lindbergh, a été baptisé l'Esprit de Rigodon, s'envole du Bourget pour tenter la grande aventure.
Il passe au-dessus de Paris. Lulu, qui est maintenant complètement rassuré, envoie un baiser à la Tour Eiffel.
Un peu plus tard, on franchit la Manche et on survole 'l'Angleterre.
- Tout va bien ! dit Jojo, nous allons réussir... Ah ! si I'oncle Antoine nous voyait !
Une heure après, l'avion quitte l'Irlande pour s'élancer enfin audessus de l'Atlantique...

- Brr ! qu'il fait froid !
Les trois jeunes aviateurs sont audessus de Terre-Neuve.Le thermomètre est tellement descendu bas que Lulu a le nez complètement gelé.
- Dis, Jojo, si on atterrissait ? hurle-t-il. J'ai envie de prendre un grog.
Jojo n'écoute pas. Il accélère la vitesse de l'Esprit de Rigodon.
Soudain, le moteur cesse de fonctionner
- Nom d'une pipe ! jure le pilote,

une panne. Il faut atterrir coûte que coûte. Lulu, cherche sur la carte pour voir où nous sommes ?
Lulu, bouleversé, tire une carte de sa poche.
- Je crois, dit-il, que nous nous trouvons juste au-dessus des Buttes-Chaumont !
- Idiot ! crie René, c'est le plan de Paris que tu as entre les mains !
Mais l'avion perd de sa vitesse. S'il ne trouve pas un endroit où se poser immédiatement, il va plonger dans les flots.
Jojo se penche hors de la carlingue
- Nous sommes sauvés ! voilà une île !
Une demi-minute plus tard, l'Esprit de Rigodon se pose sur la glace sans trop de dommage.
Les trois héros regardent autour d'eux.
-- Sapristi ! s'écrie Jojo, ce n'est pas une île, c'est un iceberg. Eh bien ! nous voilà frais !
Ils sont peine revenus de leur émotion qu'ils font une constatation non moins désagréable que la première :

l'iceberg est peuplé d'ours blancs qui avancent vers eux, menaçants.
Lulu, terrorisé, se blottit sous une aile de l'aéroplane. Jojo, qui n'a peur de rien, sort un petit canif de sa poche :
- Je vais les tuer ! dit-il résolument.
Mais il n'a même pas à se servir de son canif, la partie de l'iceberg sur laquelle sont groupés les ours blancs se rompt brusquement et tous ces animaux tombent à la mer.
- S'ils pouvaient attraper une bonne congestion !

souhaite René sans réfléchir que les ours blancs ne craignent pas l'eau même quand elle est froide.
- Puisque nous sommes débarrassés de ces sales bêtes, dit Jojo, dépêchons-nous de voir ce que peut bien avoir notre moteur. N'attendons pas que l'iceberg ait fondu complètement.
Lulu, un peu tranquillisé, sort de sa cachette et rejoint ses deux camarades. Ils examinent le moteur ensemble.
- Parbleu ! dit Jojo, il est gelé, tout comme le bout du nez de Lulu.
- Que faire ?
- J'ai une idée. Faisons chauffer de l'eau sur notre petit réchaud à alcool et nous en arroserons le moteur.
L'expérience réussit et le moteur se remet à tourner.
- Remontons dans l'appareil et essayons de nous envoler !
Jojo, décidément, a toutes les audaces ! L'iceberg n'a pas plus de cinquante mètres de long... Jamais l'Esprit de Rigodon n'arrivera à décoller sur une distance aussi courte.
Mais, dans les rêves, tous les miracles sont possibles et l'avion décolle juste au moment où un craquement sinistre retentit. C'est l'iceberg qui vient de se rompre en petits morceaux.
- Nous l'avons échappé belle !
Lulu se penche pour regarder... Il reçoit un jet d'eau formidable en pleine figure :
- Oh là ! là ! ma mère ! clamet-il. Qu'est-ce que c'est que ça ?
Ça, c'est une baleine facétieuse qui s'amuse à asperger les aviateurs en rejetant de toute la force de ses narines la masse d'eau qu'elle avait en réserve.
Il fait tellement froid que l'eau se gèle instantanément sur le visage de Lulu, lui confectionnant ainsi un masque de glace du plus charmant effet.
Le voyage se poursuit sans incident...
Tout à coup, les trois aviateurs poussent des exclamations joyeuses.
A l'horizon viennent d'apparaître la gigantesque statue de la Liberté éclairant le monde et de nombreux gratte-ciel.
- New-York !Nous arrivons à New-York ! C'est, en effet, le grand port américain !
Des avions viennent à la rencontre des héros, les sirènes des navires retentissent gaiement.
Les quais sont noirs de monde. On acclame les trois aviateurs français.
Jojo repère le champ d'aviation et atterrit de façon magistrale. La foule entoure l'Esprit de Rigodon.
Les aviateurs sont littéralement arrachés de leur appareil et portés en triomphe.
Le maire de New-York les embrasse. Lindbergh, le fameux Lindbergh lui-même vient leur serrer cordialement la main et les féliciter de leur glorieux exploit.
- Oh ! dit Jojo, très simple, la chance nous favorisés.
Il est modeste, comme tous les vrais héros.
Ils sont maintenant en automobile, l'automobile de l'ambassadeur de France, venu spécialement de Waskington pour les saluer. Ils défilent dans les rues de New-York. On applaidit. On leur jette des fleurs.

- Vive Jojo !... Vive René!... Vive Lulu !...
Après un repas de Pantagruel, le maire de New-York prononce un discours et les décore tous les trois de l'ordre de la Chaussette percée. Les trois enfants pleurent de joie.
Puis, on les conduit dans le plus grand hôtel de New-York afin de prendre un repos bien mérité.
- Demain matin, à six heures, dit Jojo au garçon d'hôtel, il faudra me réveiller, car je veux rentrer tout de suite à Paris par la voie des airs.
Ce n'est pas assez d'avoir réussi la traversée d'Europe en Amérique, il veut maintenant tenter celle d'Amérique en Europe.
Jojo est infatigable...

C'est égal, l'exploit de Jojo, même en rêve, est vraiment un bel exploit !

Imp , Du Petit Journal , Paris
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