PetitJournal Supplément Illustré |
COMMENT ON FAIT LE « PETIT JOURNAL ILLUSTRÉ »
La Direction de ce journal a demandé à ses lecteurs
de rester en étroite communion avec elle et ce souhait a été
longuement exaucé si l'on en croit le nombre considérable de lettres
reçues, lettres d'approbation et d'encouragement très sincères
Dans ces conditions, nous avons pensé qu'il serait agréable à
nos amis de les faire vivre un peu de notre vie, de leur montrer la succession
d'efforts différents et pourtant concordants, nécessaires pour
la fabrication d'un journal, de les faire pénétrer enfin dans
les coulisses - si j'ose dire - d'un grand hebdomadaire illustré comme
le nôtre
***
Ici, comme partout ailleurs, la division du
travail s'impose. Au-dessus de tout, se trouve le Directeur qui, se basant sur
l'expérience acquise et sur la connaissance du public à satisfaire,donne
les directives à suivre et en surveille l'exécution. Sous ses
ordres, le service de rédaction, rédacteur en chef, secrétaire
général et secrétaire de rédaction, met en oeuvre
et réalise les conceptions qui lui sont indiquées.
C'est ainsi que, chaque semaine, la rédaction s'occupe de réunir
les matériaux qui composeront le numéro de la semaine suivante.
Ces matériaux sont de deux sortes : d'abord ce qu'on appelle en terme
de métier, la « copie », c'est-à-dire les articles
et les contes; ensuite les illustrations, comprenant les dessins et les photographies.
Il y a là un travail très délicat, non seulement parce
qu'il s'agit de plaire au plus grand nombre possible de lecteurs et que tous,
on le pense bien, n'ont pas les mêmes goûts, mais aussi parce qu'il
convient, pour être intéressant, de suivre l'actualité.
L'actualité est fugace. Ce qui est intéressant un jour peut ne
plus l'être huit jours après. Or la fabrication d'un hebdomadaire
est infiniment plus longue que celle d'un quotidien. On risque à chaque
instant d'arriver trop tard.
Supposons pourtant les matériaux réunis entre les mains de la
rédaction. Celle-ci les passe aussitôt aux organes d'exécution.
La « copie » d'abord. Elle est envoyée au service de la composition.
Autrefois, on ne l'ignore pas, on ne connaissait que la composition à
la main. Les caractères, distribués dans les compartiments d'une
« casse », étaient pris, un à un, par un ouvrier qui
en formait ainsi des lignes. Aujourd'hui, on a beaucoup simplifié et
activé ce travail en utilisant des machines appelées linotypes.
Ces linotypes possèdent un clavier assez semblable à celui des
machines à écrire. Il suffit à l'opérateur - qui
est souvent une opératrice - - de presser chaque touche du clavier pour
que la matrice de la lettre correspondante vienne tomber dans un compartiment
destiné à la recevoir. Lorsque la ligne est complète, un
simple coup de levier déclenche la machine. L'ensemble des matrices est
présenté à l'orifice d'un foyer où se trouve du
plomb en fusion. Il en résulte une petite tablette qui porte, sur une
de ses tranches, les caractères en relief de la ligne tout entière.
Les matrices sont enlevées et distribuées automatiquement dans
le magasin d'où elles sortiront, à nouveau, lorsque l'opérateur
pressera la touche correspondante.
De même qu'il y a des dactylos plus adroites que d'autres, il existe des
opérateurs plus adroits. En moyenne, un bon opérateur compose
6.000 lettres, soit 150 lignes à l' heure.
De jeunes opératrices composant les articles du journal à la linotype.
Quand tout un article ou tout
un conte est composé, on en fait une épreuve en passant sur sa
surface de l'encre grasse, puis en posant dessus une feuille de papier et en
frappant avec une grosse brosse. L'épreuve ainsi obtenue est confiée
à un correcteur. Celui-ci relit l'épreuve, la comparu avec la
« copie » et signale les fautes de composition. Les fautes sont
corrigées à la linotype en refaisant la ligne tout entière.
Seuls, les titres sont encore composés avec des caractères mobiles
alignés, un à un, à la main. On commence toutefois à
utiliser des machines spéciales pour faire les titres.
***
Pendant ce temps, les illustrations sont traitées par les services de
photogravure.
Les illustrations en noir et les photographies sont reproduites par un procédé,
courant aujourd'hui, et dont l'origine remonte à l'invention de Talbot,
en 1852. Longtemps, il est vrai, on n'a connu que la gravure sur bois obtenue
par le travail manuel de l'artiste, sculptant pour ainsi dire une planche de
buis et le gravure sur cuivre, travaillée de même au burin. Aujourd'hui,
grâce à une ingénieuse utilisation de la photographie, on
reproduit mécaniquement sur zinc ou sur cuivre les documents destinés
à l'illustration d'un journal.
Le procédé est le même, quoique plus délicat et plus
compliqué, pour les grandes compositions en couleurs qui se trouvent
à la première et à la dernière page du Petit
Journal Illustré. Il faut noter toutefois qu'il est nécessaire
d'obtenir autant de clichés qu'il y a de couleurs. Pour le noir, le bleu,
le jaune et le rouge, cela fait quatre clichés qui seront, plus tard,
fixés sur la rotative et sur lesquels passera successivement la feuille
de papier blanc.
Quatre couleurs, direz-vous ! Mais il y a bien plus de quatre couleurs dans
les gravures qui illustrent votre journal ? Sans doute, mais le vert s'obtient
par la superposition du bleu et du jaune et les autres teintes par des superpositions
du même genre.
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Enfin voici réunies la « copie » et les illustrations clichées.
Alors commence le travail de mise en page.
Ce travail s'exécute sur de grandes tables que, par une très ancienne
tradition, on continue à appeler « le marbre ». Sous la surveillance
du secrétaire de la rédaction qui indique la place des articles
et des clichés, ceux-ci sont disposés dans les formes ou de grands
cadres de fonte qui les enserrent étroitement. Quand ce travail est achevé,
on fait, du contenu de chaque forme, une épreuve qui porte le nom spécial
de « morasse ». Les morasses sont révisées par le
correcteur qui cherche à y dépister les dernières fautes
oubliées ou les erreurs de mise en page. Puis le rédacteur en
chef les examine à son tour et, s'il n'a aucune observation à
faire, donne le bon à tirer.
Si l'on tirait sur des machines plates, on pourrait porter immédiatement
ces formes à l'imprimerie. Mais nul n'ignore plus que, de nos jours,
on utilise des rotatives pour les énormes tirages des grands journaux
modernes. Un travail de transformation est donc encore nécessaire. Il
s'exécute à la clicherie.
Là, les formes apportées sont placées dans une machine
spéciale qui moule sur elles une empreinte prise par une sorte de large
carton de papier pressé. Ce flan, on l'incurve pour lui donner la forme
exacte correspondant aux rouleaux de la rotative. Enfin, chaque flan, ainsi
incurvé, sert à faire un ou plusieurs clichés cintrés,
et ce sont ces clichés, résultat de toute une suite de transformations,
qui serviront enfin à tirer le journal.
La clicherie où les formes servent à faire les clichés cylindriques.
Maintenant, c'est la dernière partie du travail d'exécution qui
commence. Il se fait, comme je l'ai dit, sur une de ces admirables machines
rotatives dont l'invention est due à Hippolyte Marinoni, à la
fois créateur de l'imprimerie moderne et, pendant de longues années,
directeur du Petit journal.
Sous les ordres du chef conducteur, les clichés venant de la clicherie
sont fixés sur les rouleaux de la machine et la grosse bobine de papier
commence à dérouler sa feuille sans fin à travers les méandres
des roues, des bielles et des innombrables organes d'acier.
Malgré l'apparence, la mise en train demande un soin minutieux. A cause
des quatre encres différentes employées pour les gravures en couleurs,
il faut se livrer à un travail de repérage très délicat.
Il faut aussi régler la pression sur les clichés et l'arrivée
des encres de façon que le texte ne soit ni trop gris ni trop noir. Enfin
tout est prêt, après plusieurs heures d'expériences et d'essais.
La grande « roto » se met à dévorer le papier à
toute vitesse et à le rendre sous la forme d'exemplaires imprimés,
pliés, coupés, tels enfin qu'on peut les voir, quelques jours
plus tard, chez les dépositaires et chez les marchands de journaux de
toute la France.
On se rendra compte, par la comparaison de deux chiffres, des avantages de la
rotative sur la machine plate ; celle-ci tirait autrefois un moyenne de 2.000
feuilles par jour. La rotative du Petit Journal Illustré, moins
rapide pourtant que celle d'un quotidien, tiré uniquement en noir, débite
10.000 exemplaires par heure. - R
Les rotatives qui servent chaque semaine à tirer le « Petit Journal Illustré »
maj 07/02/2024