Un glorieux souvenir

LA DÉFENSE DE MAZAGRAN

Après bien des pourparlers aussi vains que ridicules, le capitaine Lelièvre, l'héroïque défenseur de Mazagran, va enfin avoir sa statue à Malesherbes, sa ville natale
Cela n'a point été sans peine ! Imaginez-vous que des hommes d'une austérité louable mais intempestive ne voulaient point lui accorder de bronze sous prétexte qu'il avait laissé quelques petites dettes dans son pays.
Comme le Romain fameux, Lelièvre s'il avait vécu aurait pu, dédaignant ces reproches mesquins, s'écrier
- Montons au Capitole ! Je jure qu'à telle date j'ai sauvé la patrie.
Car s'il ne sauva point précisément la France, qui n'était point en danger à cette époque, Lelièvre n'a pas moins accompli un des faits d'armes les plus prodigieux des temps modernes.
C'était en 1839; soulevés par Abd-el-Kader, les Arabes menaçaient de toutes parts nos troupes d'Algérie.
Le capitaine Lelièvre, de la 10e compagnie d'infanterie légère, fut chargé d'occuper Mazagran.
Il avait cent vingt-trois hommes avec lui. Pendant quatre jours entiers, vous m'entendez, quatre, il tint, enfermé dans la casbah, contre douze mille Arabes qui se retirèrent enfin sans qu'il eût été secouru et parce qu'ils désespéraient de le pouvoir réduire.
Il leur avait tué cinq fois plus d'hommes qu'il n'en avait avec lui.
Le retentissement de ce fait d'armes fut immense et servit beaucoup à assurer la conquête de l'Algérie.
Et c'est au commandant Lelièvre qu'on refusait une statue, alors que tant de pleutres politique s'étaient en bronze sur les places publiques !

Le Petit Journal illustré du 6 décembre 1896