Le Conservatoire de Mimi Pinson.

Une oeuvre nouvelle et tout à fait charmante, que le Petit Journal annonçait il y a quelques jours, vient d'être fondée à Paris. C'est l'oeuvre de Mimi Pinson.

Mimi Pinson, c'est la petite ouvrière parisienne.

  • Le nez en l'air, l'oreille au vent, petite main
  • Petit pied dessinant et cambrant la bottine,
  • Jupe courte qui rit, corsage qu'on lutine,
  • Fleur de piment, fleur rouge éclose d'un jasmin,
  • La voix d'un rossignol de Paris, filet maigre,
  • tintant sur le cristal en notes de vinaigre;
  • Gaîté de silhouette et charme de croquis.
  • Elle est si vive, elle est si fine, elle est si blonde;
  • C'est un art infini de grâce peu profonde;
  • Un gamin, une femme, un petit singe exquis.

Et cela pousse, pousse vite, vivant de quelques bouchées, travaillant ferme, faisant merveille de ses dix doigts, restant joli tout plein, sachant s'attifer spirituellement avec des reins. De nobles coeurs ont senti que la petite ouvrière parisienne, née dans les faubourgs populaires, dans les mansardes d'ouvriers, autour des usines, était bien malheureuse de ne pouvoir " aller au spectacle" demander aux illusions de la scène, l'oubli de ses tracas, de ses misères. Ils ont vu la terrible embûche des spectacles stupides et libertins des cafés-concerts, semeurs de vices et de dépravation, et ils essayent de faire remonter aux gentilles travailleuses de l'aiguille un courant dangereux en leur facilitant la vue et l'audition d'oeuvres saines, artistiques, capable de développer leurs goûts esthétiques et de consolider les qualités de leurs coeurs.

M . G . Charpentier, l'auteur de Louise , fut un des initiateurs du mouvement. Il fit accepter par un grand nombre de ses confrères que les billets d'auteur seraient abandonnés par les ayants droit et distribués, par les soins des chefs d'ateliers, aux ouvrières parisiennes. L'idée eut un succès colossal. On la baptisa " l'oeuvre de Mimi Pinson " et les ouvrières ne furent pas les dernières à chanter, sur une musique moins savante que la sienne, les louanges de Charpentier et de ses camarades. De plus, Mimi Pinson a maintenant son Conservatoire ; un vrai Conservatoire, s'il vous plaît, à l'enseignement noble et sévère qu'elle égaiera de sa grâce piquante et de son clair sourire. Que va-t-elle apprendre au nouveau Conservatoire auquel la maison Pleyel-Wolff et Lyon donne très aimablement l'hospitalité ?Trois choses : le chant, la harpe et la danse, programme digne de l'art antique. Car vous entendez bien que le chant est l'étude sérieuse d'oeuvres simples et belles ; que la harpe donne à ces néophytes de grande bonne volonté l'impression de l'instrument de l'humanité, la lyre enfin que la danse consistera dans l'enseignement des nobles attitudes et de la grâce plastique. La salle de danse est vaste. Le professeur une dame du corps de ballet de l'Opéra, et qui , sans se lasser, avec une patience admirable, indique aux élèves - en costume de ville bien entendu, - les mouvements de gracieuse souplesse des mains et des bras, de la tête et du torse. Les jeunes filles, charmées, recommencent encore, toujours, non sans que la gaucherie de certaines arrache quelque rire, vite étouffé, à leurs camarades.

Le but de l'oeuvre est maintenant atteint et il faut féliciter les amis des humbles, les doux rêveurs qui ont si bien compris l'âme populaire et qui veulent faire faire un effort pour la défendre contre la déchéance morale qui la guette.

Le Petit Journal Illustre du 12 Octobre 1902