A Saint-Pétersbourg

 

Audience de congé accordée par les impératrices à M. de Montebello, ambassadeur de France

La nouvelle du rappel de M. Montebello, ambassadeur de France en Russie depuis douze ans, à causé à Saint-Pétersbourg et à Moscou, dans la famille impériale, dans l' aristocratie, dans le peuple, aussi bien que la colonie française, un douloureux étonnement ! Tout le monde était unanime à reconnaître avec quelle distinction, avec quel éclat et quelle habilité M. de Montebello avait représenté notre pays et quels services il avait rendus à notre cause.Peu ménager de son importante fortune, l' ambassadeur de la république avait déployé dans ses réceptions un luxe dont notre prestige avait grandement profité. D' autre part, son extrême finesse avait aplani les mille et une difficultés qui surgissent forcément entre un gouvernement autocratique et une république, entre une cour très aristocratique et une représentation populaire. S. M. l' empereur de Russie honorait M. et Mme de de Montebello d' une affection toute particulière et personne n' ignore qu' il n ' a point caché le regret et même le mécontentement qu' il éprouvait de ce départ. L' impératrice Alexandra Federowa et l' impératrice mère, veuve d' Alexendre III, ont tenu à recevoir en audience particulière M. et Mme de Montebello et leur ont prodigué les témoignages les plus flatteurs de leur haute sympathie. La cour et la haute société russe ont imité les souverains. A l' ambassade de France, une vingtaine de dames, ayant à leur tête la grande-duchesse Wladinir et le grand-duc Alexis sont venues offrir à notre ambassadrice une magnifique table à thé en bois de Carélie, de style Empire, incrustée de vermeil. Le plateau porte les noms des donateurs ; il y en a plus de cent, parmi lesquels onze grands-ducs de la famille impériale, le comte Lamsdorff, de la cour, les fonctionnaires, etc. Au banquet d' adieu offert par la colonie française au représentant de la France et à son épouse, les discours les plus chaleureux furent prononcés sous l' émotion profonde ressentie par tous ceux qui y prenaient part. M. Hesse, président de la société de bienfaisance, parla en ces termes: " Vous avez toujours pris la défense, non seulement des intérêts les plus sacrés de notre belle France, mais encore de ceux de la colonie entière à laquelle votre bienveillance n' a jamais fait défaut dans aucune circonstance. Aussi c' est parmi nous surtout que le vide de votre départ sera le plus vivement ressenti." A vous, madame la marquise, il serait impossible de redire tout le bien que vous avez fait ici, car combien de bonnes oeuvres votre modestie nous a-t-elle laissé ignorer ; mais votre nom sera éternellement attaché à la fondation de L' hôpital français, et les vieillards et les enfants de l' asile sont désolés en voyant partir leur bienfaitrice dont ils ne cesseront jamais de bénir la mémoire. " Au nom de mes compatriotes, merci ! merci !" Notre ambassadeur a pu se rendre compte que la Russie n' est pas une terre ingrate et stérile : la reconnaissance n' y est pas un vain mot. Voilà de quoi consoler notre éminent ambassadeur des mesquines jalousies et des rancunes protocolaires auxquelles on l' a sacrifié.

Le Petit Journal du 08 Février 1903