Châtiment d' un père barbare

Dévoré par les loups

Une scène effroyable s' est passée dernièrement en Russie, près du village de Kovsovka. Un petit propriétaire russe rentrait chez lui d' un village voisin, dans son traîneau, avec sa jeune femme et son petit enfant, quand, tout à coup, il entendit dans la steppe immense de sinistres hurlements. C' étaient les loups, particulièrement nombreux cette année. Tout à coup, en effet, une bande féroce, affamée, apparaissait au tournant d' un chemin et s' élançait, derrière le traîneau, sur les traces des voyageurs. En vain l' homme activait son attelage ; le traîneau volait sur la neige glacée, les trois chevaux, affolés par la vue des terribles carnassiers, filaient comme des flèches ; la meute affamée entourait le léger véhicule, bondissait autour des chevaux ; une minute encore et il serait rejoint. C' est alors que l' homme eut une pensée effroyable, abominable. - Femme, dit-il à sa compagne, tremblante, mourant de frayeur à côté de lui et tenant serré sur sa poitrine son petit garçon, femme, si nous leur jetions l' enfant, pendant que ...enfin, pendant qu' il les occuperait, nous aurions le temps de nous sauver. - Que dis-tu, misérable? Tu ne feras pas cela! Jamais! jamais! J' aimerais mieux mourir! - Soit! gronda le misérable affolé. Et d' une vigoureuse poussée il envoya hors du traîneau la femme et l' enfant. Il se crut sauvé au prix de ce crime atroce : Le traîneau, allégé, fit un bond énorme en avant. Un hasard providentiel permit que les deux pauvres êtres tombassent dans un trou assez profond, plein de neige, placé le long du chemin que les loups, aveuglés par la neige, haletant de fatigue, lancés à la poursuite des chevaux, tournèrent pour l' éviter, sans voir la chute de la femme et de l' enfant qui, après avoir roulé dans la neige, disparurent quelques minutes sous le blanc tapis.Ils continuèrent leur poursuite plus ardente que jamais et bientôt ils atteignirent le traîneau. Ainsi que son attelage, l' homme fut dévoré, justement puni de son crime épouvantable. Quant à la femme et à l' enfant, ils n' avaient été blessés ni l' un ni l' autre. Après de longs et pénibles efforts, ils purent sortir du fossé et rentrer au village, miraculeusement sauvés.

Le Petit Journal du 22 Mars 1903