Le voyage du président de la république en Algérie

En pleine mer

Le président de la République a eu la très heureuse pensée de donner, au nom de la France qu' il représente, une preuve de la sympathie que nous avons pour nos compatriotes établis dans notre belle colonie algérienne, dans notre protectorat tunisien, et pour le populations musulmanes si dignes d' intérêt, si héroïquement dévouées à la cause de leur nouvelle Patrie.Les Arabes n' ont-ils pas prouvé, en effet, et en maintes occasions, notamment pendant la guerre de 1870, en versant généreusement leur sang avec le nôtre, combien leur attachement à la France était sincère ? Et, actuellement encore, dans ces escarmouches que soutiennent nos troupes sur les confins de notre colonie, ne les voit-on pas marcher aux côtés de nos soldats, combattant loyalement, bravement à l' ombre du glorieux drapeau aux trois couleurs ? Les populations arabes nous donneront une nouvelle marque de leur inaltérable fidélité en recevant, d' une façon digne d' eux et digne de lui, le plus haut magistrat de la République, qui vient les visiter au noms du peuple français. M. Loubet s' est embarqué hier mardi, à Marseille, sur le croisseur-cuirassé le Jeanne d' Arc, superbe vaisseau d' un modèle nouveau : il est long 145 mètres, large de 20 avec un tirant d' eau de 8 m. 1/2 ; il déplace 11,270 tonnes; une machine de 28,500 chevaux actionne trois hélices qui fournissent une vitesse de 23 noeuds environ. Deux ou trois ministres et une cargaison d' une soixantaine de sénateurs et de députés accompagnent le président de la République dans son voyage. Mais pourquoi M. Pellelan les a-t-il pris à bord de nos navires de guerre ? Beaucoup de gens s' étonnent, et non sans raison. Nos cuirassés en effet, ne sont pas faits pour ces sortes de transport. Et quelle singulière idée donneront de la représentation nationale ces députés qui n' ont certes pas le prétexte d' un voyage d' études et qui profitent tout simplement du voyage du chef de l' Etat pour faire des excursions gratuites à travers la Méditerranée et l' Algérie, et se goberger aux frais des contribuables ! Ah ! elle a bon dos, la princesse ! Et comme on voit bien que nos finances sont dans un état de prospérité remarquable ! Ce n' est pas sans un certain effroi que les Arabes, et surtout les fonctionnaires et les colons français voient arriver dans leur pays ces parlementaires en mal de distractions gratuites : ils n' ont eu garde d' oublier le navrant spectacle que leur donnèrent, il y a quelque année, les membres de certaine commission parlementaire, très nombreuse, envoyée, en Algérie, pour un soi-disant voyage d' études. Naturellement, ses membres ne firent aucune besogne pratique ; mais, par contre, que d' excentricités! Entre autres folies déconcertantes, je vois encore certain ministre du cabinet actuel, alors simple député, qui se mit, chez un grand cheik tunisien, à danser la danse du ventre, au milieu des almées, au grand émoi des autres députés et journalistes présents et au grand scandale des notables indigènes présents à cette solennelle réception. Ils eurent, ce soir-là, une haute idée de notre représentation nationale ! Et s' il n' y avait eu que cela !!... Souhaitons que, cette fois, il n' en soit plus ainsi, pour le prestige de la France et de notre représentation nationale.

Le Petit Journal du 19 Avril 1903