Graves événements dans le Sud-Oranais

 

CONVOI FRANCAIS ATTAQUE PAR DES MAROCAINS

Les événements tragiques qui viennent de se dérouler sur notre territoire Sud-Oranais, où quatre officiers, cinq sous-officiers et soldats ont été blessés, et vingt-quatre soldats français et de la légion étrangère ont trouvé la mort en luttant contre une bande d' insaisissables pillards pillards marocains, sont bien faits pour émouvoir l' Opinion publique et lui inspirer de vivres craintes pour l' avenir de la domination française dans ces régions sans cesse troublées. C' est près de l' oasis de Figuig, à Ksar-el-Azouz, que l' attaque a eu lieu. Les Oulad-Djerir étaient à peu près 200, sérieusement approvisionnés, armés de fusils Remington et très bien dressés au combat. La lutte dura, acharnée, sous un soleil de plomb, de onze heures du matin à six heures du soir. La petite troupe française, isolée au milieu du désert aride, fut tout de suite entourée, et bientôt, privée de ses chefs tombés au premier rang, elle manqua de munitions. Il fallut alors se battre corps à corps. Les chameaux du convoi, les caisses de fusils et d' approvisionnement furent pris et repris finalement, emportés par les pillards. La nouvelle de l' échec subi par nos troupes à Ksar-el-Azouz ( précédé du drame sanglant, trop vite oublié, de Haïn-el-Bayri, près de Duveyrier, et suivi, à quelque jours, d' un second drame à la gare de Beni-Ounif) a retenti très douloureusement dans le coeur du pays et particulièrement dans le coeur de tout Africain ; jamais encore, en effet, des des indigènes aussi peu nombreux n' étaient restés maîtres du champ de bataille et n' avaient pu emporter leur butin après une lutte contre une unité organisée de troupes françaises- quelque faible que fût son effectif. Il a dû se produire, dit fort justement un de nos confrères, quelque chose d' anormal que l' autorité militaire tirera au clair, puisque, après l' épuisement des munitions (120 cartouches par homme) , le ralliement n' a pas pu se faire, et que le lieutenant Ruffier et les autres blessés échappés au massacre sont rentrés pendant la nuit, épuisés, mourants de soif, au Ksar-el-Azouz, un par un, c' est-à-dire en débandade.Nous n' insisterons pas davantage sur ce points qui relève de la conduite des troupes en pays arabe ; mais nous sommes vraiment en droit de nous demander si tout a été en ce qui concerne l' organisation militaire de la région pour prévenir ou tout au moins pour rendre moins fréquentes et moins dangereuses pour nos postes les incursions des tribus indépendantes de la Saoura et de l' Oued-Guir. La situation est grave, car (il ne faut pas se faire d' illusion à cet égard) l' échec subi par nos troupes aura un très fâcheux retentissement dans tout le pays musulman : il excitera le fanatisme religieux, dans cet ancien centre de l' insurrection algérienne ; il réveillera les passions inassouvies, les haines mal cachées, mal refroidies. Une dépêche de Melilla au Herald n' annonçait pas, ces jours derniers, qu' une grande effervescence et qu' une grande inquiétude régnaient parmi toutes les tribus kabyles de Béni-Sicar et des Mazuya; qu' ils se préparaient ouvertement à la guerre sainte contre les roumis et qu' ils réunissaient leurs forces à Amrani ! L' Etat actuel ne peut durer, chacun le sent; et chacun reconnaît aussi qu' on ne peut remédier à la situation actuelle par une entente avec le sultan du Maroc. Celui-ci, en effet, a d' autre soucis en tête; pour le moment, que celui d' imposer son autorité à des gens qui l' ont jamais reconnue.Tous les journaux français (même ceux qui vont d' ordinaire chercher leur inspirations dans les bureaux du quai d' Orsay) sont d' accord sur le but à poursuivre, sur le seul moyen pratique d' imposer la paix à nos farouches et indisciplinés voisins : il faut qu' une forte garnison française occupe l' oasis de Figuig. Seul cet acte peut ramener le calme dans ces régions troublées et relever notre prestige entamé aux yeux de ces races guerrières et fanatiques. Autrement nos postes et nos convois de ravitaillement auront périodiquement à répondre à des attaques du genre de celles de Ksar-el-Azouz, et probablement même à de plus importantes et de plus dangereuses. Allons-nous montrer enfin un peu d' énergie, de décision? M. Delcassé négocie, paraît-il. Si pareille aventure était arrivée aux Anglais, ils n' y auraient pas mis tant de façons !

Le Petit Journal du 19 Avril 1903