Un banquet mouvementé

 

Avant de prendre, avec prestige et l' autorité que l' on sait, le commandement de la marine de France et de recevoir le plus magnifiques représentants des flottes européennes. M. Pelletan a tenu à ranimer ses ardeurs réformatrices à la chaleur communicative de quelques banquets. Il a fait, en compagnie de son fidèle conseiller intime, dans nos pittoresques et si patriotiques ville du midi de la France, une tournée agrémentée de nombreux banquets, apéritifs et vins d' honneur, etc.. Toute la Sociale Lucullus s' est gobergée pendant quelques jours aux frais des contribuables. Rien n' a manqué à la petite fête. Le champagne a coulé à flots, les mets les plus épicés et les plus délicats ont chatouillé agréablement les palais les plus blasés. Partout les choses allèrent au mieux ; les invités choisis avec soin, triés sur le volet, affirmèrent au grand réformateur la confiance sans borne qu' ils ont en lui. Il y eu cependant un incident plutôt comique. Cela se passa à Carcasonne. Un banquet avait été organisé dans la salle du manège de cavalerie. La blanquette de Limoux coulait à pleins bords et M. Pelletan avait déjà prononcé de ces paroles si conciliantes dont il a le secret, lorsqu' un grand tumulte éclata ; fut-ce l' effet de l' éloquence du ministre ou de cette diable de blanquette ? Toujours est-il que plusieurs des banqueteurs se prirent aux cheveux et se cognèrent dur. Il fallut les séparer, et ce ne fut pas chose facile. M. Pelletan, désolé, assistait à cette scène de pugilat en s' arrachant les cheveux, tandis que les autorités s' efforçaient de pallier les choses, d' excuser les ardeurs méridionales et que les philosophes se faisaient une pinte de bon sang. Finalement, on mit les combattants à la porte et la séance continua.

Le Petit Journal du 26 Avril 1903