Tristes événements

Les expulsions

Bataille entre des magistrats et la population

Des faits d' une extrême gravité, et bien attristantes pour ceux qui souhaitent à notre malheureux pays le paix et l' union indispensable entre les concitoyens d' une même nation, si profondément divisé par l' oeuvre néfaste des politiciens, se passent en maints endroits de France, et, notamment, à la Roche-sur-Foron, où des troubles particulièrement pénibles ont vivement ému l' Opinion publique. Il s' agissait de l' expulsion de religieux faisant partie d' une congrégation non autorisée par le Parlement. La population, très irritée par les ordres reçus du ministère de l' intérieur, avait formé le projet de s' opposer au départ des religieux. La situation se compliquait encore de ceci que M. Dupont, conseiller général, était accusé d' avoir traité de " bécasses" les femmes de cette vaillante population. Lorsque le parquet de Bonneville, au complet, se dirigea vers le couvent, il se trouva en face d' une foule énorme, qui le força, par ses cris et ses menaces, à rebrousser chemin. C' est alors (chose à peine croyable!) qu'excité, sans doute, par les injures, un substitut se précipita sur une femme, la saisit par les cheveux et la maltraita. Rien ne peut donner une idée de ce qui se passa alors. La foule, indignée de cette brutalité, força le magistrat à lâcher prise ; puis on les frappa de toutes parts, lui et le juge de paix. Les pierres volaient de toutes parts, et les membres du parquet, blessés, n' eurent d' autre moyen de salut que de se réfugier dans une pharmacie du voisinage. Est-ce donc là cette pacification si impatiemment attendue par la population saine et travailleuse de ce pays et si souvent promise par le président de la République dans ses discours? Certes, depuis que M. Combes a remplacé M. Waldeck-Rousseau au pouvoir, afin de continuer et de parfaire son oeuvre, on ne peut l' accuser d' avoir perdu son temps ! Pour satisfaire aux sommations d' une poignée de politiciens des partis avancés, il a coupé la France en deux ; il a allumé la guerre civile. On se bat dans le Nord de la France, dans le Midi, dans l' Est et dans l' Ouest : on rosse le commissaire, on insulte les gendarmes, qui n' en peuvent mais , et les magistrats; des députés, des journalistes sont traînés devant les tribunaux, les menottes aux poignets comme de vulgaires voleurs de grand chemin ; les officiers, écoeurés de la triste besogne qu' on leur fait faire, démissionnent, et des scandales éclatent de toutes parts, jusque dans la propre famille du président du conseil. Pour plaire à MM. Jaurès et Pressensé, aux internationalistes, aux collectivistes, aux sinistres farceurs de la Sociale Lucullus, maîtres des destinées ministérielles, on assomme des femmes, des enfants ; on mobilise l' armée pour donner l' assaut à des couvents, tandis que, pendant ce temps, des villes comme Marseille ou Lille, sont livrées sans protection aux meneurs cosmopolites, en plein état d' insurrection contre les lois françaises. Le gouvernement, effrayé par leurs menaces, les laisse faire ; il semble même les soutenir. Les honnêtes gens tremblent et le commerce languit; les charges, qui pèsent déjà si lourdement sur le monde des affaires, sur le commerce et l' agriculture, augmentent chaque année dans des proportions effrayantes pour permettre aux politiciens au pouvoir de caser leurs parents, leurs amis, leur clientèle électorales : à eux l' assiette au beurre !C' est la curée. Mais le malaise général augmente l' argent, effrayé par les aboiement de la meute affamée, se retire des affaires et file à l' étranger pour se mettre à l' abri ; des milliers d' ouvriers laborieux et économes pâtissent, sont sans travail ; leurs ménagères ne savent plus à quel saint se vouer et la Rente française baisse, baisse toujours : M. Combes nous ramène tout doucement au régime de la Terreur. En attendant, c' est l' anarchie, la décomposition sociale.

Le Petit Journal du 10 Mai 1903