Le roi d' Angleterre en France

Le départ de Cherbourg

Le roi d' Angleterre n' a pas eu trop à se plaindre du temps pendant son séjour en France, bien qu' il ait eu des alternatives fréquentes de soleil et de pluie. La seule journée où il ait fait vraiment beau est celle précisément où les fêtes eurent lieu en plein air, c' est-à-dire le samedi, jour de la revue de Vincennes et des courses spécialement organisées sur l' hippodrome de Longchamp. Le jour du départ du roi, le ciel se montra clément jusqu' à ce qu' il fût monté en wagon ; mais la locomotive n' eût pas plutôt exalé son dernier sifflement, qu' un orage effroyable éclata, tel que nous n' en avions pas vu depuis longtemps. Quand Sa Majesté quitta Cherbourg, les adieux terminés, il plut fortement, et ce fut grand dommage ; mais un serviteur avait couvert le roi d' un manteau en caoutchouc, et Édouard VII n' a pas semblé affecté par ce fâcheux cotre-temps,. Peu-être un bon courtisan se sera-t-il trouvé à point pour lui dire que le ciel de la France pleurait son départ. Édouard VII ne s' est pas fait faute d' exprimer sa joie de l' accueil respectueux qui lui a été fait, pendant tout son séjour en France, par une population pleine de tact et de courtoisie, dont mieux que personne il est à même de connaître le véritable sentiment. Il a, en effet, trop souvent fréquenté le territoire français, alors qu' il n' était encore que prince de Galles. Pour pouvoir penser un instant que la cruelle blessure faite au coeur de tout Français par le cuisant et récent souvenir de Fachoda soit déjà cicatrisée (sans parler de toutes celles où la mauvaise foi britannique de donna libre cours à nos dépens). Au moment de rejoindre le yacht royal qui devait le conduire à Portsmouth, Édouard VII a eu une attention délicate, qui a infiniment touché nos marins. Au lieu de prendre une embarcation couverte de son bord, où il aurait été à l' abri de la bourrasque, il a tenu à se faire porter par le canot découvert de l' amiral Touchard. Enfin, comme il passait la nuit en rade, il a invité à dîner sur son superbe navire les officiers de marine présents à Cherbourg, et il s' est entretenu avec eux en marin qui connaît admirablement son métier. L' impression qu' il a laissée a été favorable ; celle qu' il a emportée est-elle moins bonne? Il faut souhaiter qu' elle soit excellente, car c' est, pour nous, une espérance de calme et de prospérité bien nécessaires après les terribles événements intérieurs que notre pays vient de traverser.

Le Petit Journal du 17 Mai 1903