L' ouvrier : " On était plus tranquille sans eux ! "
" Ouf ! " fait chacun quand nos députés partent en vacances. Mais le calme relatif ( Oh ! très relatif ! ), qui suit leur départ ne peut, malheureusement, toujours durer. Ils reviennent. Les voilà revenus ! Eh ! Seigneur ! que ne sont-ils restés en vacances, chez eux, en leurs foyers lointains. On était plus tranquille sans eux ! Ils vont, disent ils, reprendre la série de leur travaux écrasants, et sacrifier, une fois de plus, leur santé sur l'autel de la Patrie. De nouveau, les paroles haineuses, inutiles, dangereuses souvent, insolentes, grossières, vont se croiser dans l' atmosphère surchauffée de la salle des séances, comme des trognons de choux que les gamins se lancent à la tête, un jour de bataille dans la rue. Et pendant ce temps, braves commerçants écrasés d' impôts, courageux ouvriers auxquels manque le travail par suite du très sensible ralentissement des affaires, vous continuerez à trimer ou à vous serrer le ventre, et vos enfants et votre ménagère avec vous, afin qu' une poignée de politiciens bavards et ignorants puissent, tout à leur aise, faire beaucoup de bruit et le moins possible de besogne, bien heureux encore quand cette besogne n' est pas néfaste pour le monde des affaires et pour les destinées de notre pays. " On était plus tranquille sans eux ! " Telle est la réflexion que nous entendions faire par un ouvrier (un vrai travailleur, celui-là), qui, ses outils dans le dos, regardait passer un groupe de députés, pérorant, s' agitant pour la galerie. Et combien cette réflexion est juste, pleine de bon sens et d' observation ! En les voyant revenir, le contribuable sait ce qui l' attend : ce sont de nouveaux impôts pour les agriculteurs, pour les commerçants, une perturbation désastreuse dans les affaires, des effacements navrants, humiliants, devant les autres peuples, la division entre citoyens d' un même pays, et les haines soulevées et les vieilles rancunes, et surtout les appétits des affamés de la Sociale-Lucullus, maîtres de l' heure et des destinées gouverne mentales, pressés de jouir, à leur tour, des bienfaits de l' assiette au beurre.
Le Petit Journal du 24 Mai 1903