Arrestation d' un agent de l' Allemagne

La population si patriote de notre frontière de l' Est vient d' être profondément émue par l' arrestation fortuite, à Nancy, d' un espion allemand nommé Baliguet. Cette émotion a eu, d' ailleurs, son contrecoup dans tout le pays. Chacun sait que les espions allemands pullulent sur la frontière de l' est, comme avant 1870. Ce misérable est un ancien sous-officier de notre cavalerie ; il représentait, depuis quelque temps déjà, à Nancy, une maison de cafés; mais le plus clair de ses ressources, il le tirait de son métier d' espion au service des deux pays. Pour se procurer des facilités au delà des Vosges, il avait, en effet, proposé au gouvernement français de faire du contre-espionnage; ainsi, il était mis au courant de plus d' un secret de notre défense qu' il vendait ensuite un bon prix aux services d' espionnage merveilleusement organisés de Guillaume II. Par bonheur, un jour, Baliguet manqua de prudence. Il crut que le cantinier du fort de Lucey était un coquin comme lui: il lui fit des confidences, lui offrit de se livrer avec lui au même honteux métier et lui remit même un questionnaire écrit sur l' armement et les provisions du fort. Le brave cantinier feignit d' écouter favorablement le misérable traître et s' empressa d' avertir ses chefs; la police qui, d' ailleurs, avait déjà des soupçons, fut saisie de affaire et, un soir, au moment où il achevait de dîner chez le cantinier, Baliguet fut arrêté. Tout ce que l' on sait, c' est que la Sûreté générale a saisi chez l' espion de Guillaume II quantité de pièces importantes sur la nature desquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle, chef du service des renseignements pour le compte de la sûreté, garde le secret le plus absolu. Cependant, chaque jour apporte, malgré le mutisme de ce fonctionnaire, quelques révélations nouvelles. Mais connaîtront-nous jamais le fond de cette ténébreuse affaire? - C' est peu probable. Le gouvernement, qui n' a pas craint d' immoler notre merveilleux service des renseignements, qui était fait autrefois par d' anciens sous-officier d' une honorabilité à toute épreuve, d' un courage et d' un dévouement absolus, a nature, et a ne pas attirer l' attention publique sur la façon dont le service du bureau des renseignement, devenu un modeste bureau de statistique, s' acquitte actuellement de ses délicate fonctions. L' oeuvre du colonel Sandherr et de ses agents si zélés est bien enterrée, hélas !

Le Petit Journal du 31 Mai 1903