Le saut de la rivière
Nous voilà arrivé, avec les beaux mois de mai et de juin, à l' apogée de la saison des courses :prix de Diane et du Jokey-Club, à Chantilly ; Grand Steeple-Chase international d' Auteuil; Grand-Prix de Paris, sur l' admirable hippodrome de Longchamp. Il est donc tout à fait d' actualité de parler de ces épreuves, sources de tant de plaisirs, de tant d' émotions et du déplacement de tant d' argent. Les courses, qui ont pris, depuis quelques années, un tel développement chez nous, ont leur grosse utilité ; elles contribuent beaucoup à l' amélioration de nos races chevalines françaises. Grâce aux achats, que font nos éleveurs chaque année, de quelques-uns des meilleurs produits français et étrangers, le cheval de guerre s' est beaucoup amélioré, chacun le reconnaît. Et cela aura une immense importance au jour de la grande Revanche. Les courses amènent un formidable mouvement d' affaires, par les dépenses de toutes sortes qu' elles occasionnent ; les étrangers affluent sur nos hippodromes, aussi bien de Paris que des départements, Vichy, Trouville, Pau, Nice, etec., etc. ; enfin le prélèvement de l' État sur les bénéfices du pari mutuel sert , en partie, à soulager la misère. Les Anglais furent les premiers initiateurs des courses de chevaux. Depuis, ils ont continué à former des produits remarquables, mais qui, cependant, ne furent pas toujours heureux quand ils vibrent lutter avec les nôtres sur nos hippodromes. Il est juste d' ajouter que nos plus brillants chevaux ne remportèrent pas de plus nombreuses victoires lorsqu' ils passèrent la Manche. Pourquoi? C' est ce que personne n' expliqua jamais très clairement. Différence de climat, fatigue du voyage, changement d' habitudes, que sais-je! On retrouve des traces des premières courses de chevaux, en Angleterre, au douzième siècle. Le fameux roi Henri VIII, encore qu' il eût d' autre sujets de préoccupation, les encouragea de tout son pouvoir. A cette époque, le vainqueur recevait une cloche de bois enguirlandée de fleurs, et plus tard, une clochette en argent : et c' est probablement à cette coutume que certaines luttes chevalines durent leur nom de courses au clocher ou à la clochette. L' austère protecteur Cromwell eut son haras de courses; mais l' Histoire n' ayant pas enregistré ses succès, il est permis de croire qu' il n' en connut pas de nombreux. Le roi actuel est plus favorisé. On sait qu' il possède une écurie admirable et lors de son récent séjour à Paris, on a reproduit un dessin le représentant, au milieu d' une foule enthousiaste, ramenant lui-même par la bride un de ses chevaux victorieux. En France, le goût des courses naquit beaucoup plus tard. Mais on s' est rattrapé. On courait, et l' on pariait, sous Louis XIV. Certain conteur rapporte même, à ce propos, une anecdote piquante. Le grand roi, paraît-il, n' aurait pas inventé tout seul ses mots historiques; un bel esprit était spécialement chargé de la fourniture. Témoin la suivante note indiscrète qui fut retrouvée. Des princes avaient organisé entre eux une course de chevaux, le roi devait y assister, et le pourvoyeur d' esprit lui avait glissé les lignes que voici: " Lorsque le notaire se présentera pour enregistrer les paris, votre Majesté s' écriera: " Qu' est-il besoin de notaire entre gentilshommes, la parole suffit." " Napoléon, qui organisa tant de choses, s' occupa utilement des courses. Ce ne fut, cependant, qu' en 1833 que, par les soins d' un certain membre de membres du Jokey-Club, s' institua la Société d' encouragement pour l' amélioration de la race chevaline. Au champ-de-Mars d' abord, puis au Bois de Boulogne, ladite Société créa des courses en terrain plat, dont le succès devint, en quelques année, colossal. Elle distribua des millions de prix mais elle paraissait dédaigner les épreuves en obstacles, et ce fut avec des sourires qu' elle accueillit le projet formé par le prince de Sagan de créer à Auteuil un hippodrome où les chevaux auraient à sauter des haies, des rivières, des murs. M. de Sagan était un inventeur de premier ordre. Il a fondé Auteuil qui, très vite, est devenu une réunion ultra-élégante, et dont la réussite est-telle qu' elle égale aujourd'hui la gloire de Longchamp. On l' a bien vu dimanche dernier, jour du Grand Steeple-Chase.
Le Petit Journal du 7 Juin 1903