La course Paris-Madrid

 

Terrible accident d' automobile

Brusquement, tragiquement, elle a été interrompue, cette grande épreuve internationale si impatiemment attendue, et qui avait causé tant de fièvre en France et en Espagne. Dès les premières lieues, de nombreux accidents, dont quelques-uns, hélas, mortels, sont venus attrister ce grand événement sportif, et forcer les gouvernements des deux pays à interdire cette course à l' abîme. L' industrie des automobiles est essentiellement française; nos marques sont très recherchées et les les justement estimées à l' étranger ; elle fait vivre des milliers et des milliers de braves gens. Il est donc naturel que les divers fabricants s' efforcent de prouver la supériorité de leurs produits, et l' on ne saurait leur en vouloir de cette belle émulation, qui a enfanté déjà des merveilles. Jusqu'à présent, les constructeurs et inventeurs ont estimé que le meilleur moyen de se faire connaître était la course de vitesse ; c' est ainsi que, peu à peu, la vitesse et la puissance des machines augmentant sans cesse, l' on est arrivé à faire des extravagances, des folies et des malheurs. La question si d' actualité des courses d' automobiles est venue mardi dernier devant la Chambre. L' interpellateur, M. Congy, a pris, il y a quelque mois seulement par son prédécesseur, M. Waldeck-Rousseau, de ne plus autoriser, à l' avenir, aucune course de ce genre. " Ce n' est pas dans l' exagération des précautions, qui dégénéreraient en vexations injustes pour les populations, qu' il convient de chercher le remède, a dit, à cette époque M. Waldeck-Rousseau, et le gouvernement s' est arrêté à la résolution de n' autoriser aucune course d' automobiles à une vitesse supérieure à la vitesse ordinaire de circulation des automobiles sur les routes nationales, départementales et sur les chemins communaux." Et M. Waldeck-Rouseau ajoutait, aux applaudissement unanimes de la Chambre :" S' il plaît aux fabricants d' automobiles d' utiliser nos routes pour des concours de résistance entre les divers types de machines, à merveille. Si, au contraire, ils veulent organiser des courses de vitesse , c' est à eux de ce créer des champs d' expériences, mais les routes qui sont à la disposition du public ne serviront plus de théâtre à de pareils essais." Mardi dernier encore, tout le monde a été d' accord pour approuver la décision, quelque tardive qu' elle fût, du gouvernement, d' interdire la fin de la course, tout en regrettant qu' il se soit laissé entraîner à l' autoriser au début: " On m' a fait valoir, dit M. Combes, l' intérêt considérable attaché au développement d' une industrie, qui a pris en France plus d' ailleurs un si remarquable essor, et qui procure au Trésor des ressources constamment croissantes : 5 millions, puis 10, puis 15 millions ; et j' ai cru devoir faire fléchir la règle devant ces considération." M. de Dion a reconnu que, cette fois-ci, " on a fait des folies", et que " les coureurs ont marché à des vitesses déraisonnables". " D' un autre côté, a-t-il fort sagement ajouté, il ne faut pas s' emballer ; la Chambre ne doit pas céder à un moment d' entraînement. Il ne faut pas nous forcer, nous industriels, à renvoyer nos milliers d' ouvriers et prendre des mesures qui obligeraient cette grande industrie française, si prospère, à émigrer à l' étranger." Nous reproduisons, en cinquième page, une photographie de l' automobile " Mors", qui a été classée la première à Bordeaux entre les voitures de toutes les catégories. Cette voiture, que conduisait le chauffeur Gabriel, a effectué le trajet de Paris à Bordeaux - 552 kilomètres - en 5 heures 13 minutes, soit à une vitesse moyenne de plus de 100 kilomètres à l' heure, alors que les train rapides de la ligne d' Orléans ne font que 84 kilomètres arrêts déduits. Six autres voitures de la maison "Mors", dont celle qui a obtenu le n° 2, sont arrivées à Bordeaux dans les meilleures conditions, sans éprouver d' avaries et sans occasionner d' accidents, ce qui témoigne de leur robustesse et de la supériorité de leur construction autant que de l' habileté de leurs constructeurs. Ajoutons, pour compléter nos renseignement, que toutes ces voitures étaient munies de pneus " Michelin " , qui ont victorieusement résisté à cette vitesse fantastique.

Le Petit Journal du 7 Juin 1903