Événements du Figuig

 

Le général de division O'Connor commandant en chef du corps expéditionnaire

Le commandant en chef du corps expéditionnaire chargé de faire payer leurs méfaits aux pillards marocains de Figuig n' a point été long à se mettre en campagne. Le 9 juin, au lever du jour, aussitôt qu' il eut reçu l' ordre, tant attendu, il a bombardé les ksour de Zenaga, l' un des sept ksour de Figuig. Ce repaire de bandits a été complètement détruit. Justice est faite. Six cents obus à la mélinite furent lancés par nos pièces de 95 et de 75 à tir rapide : tous les projectiles portèrent avec une admirable précision. L' effet du bombardement fut foudroyant : les obus éclataient à l' intérieur des habitations qui formaient caisse à air, et faisaient tout sauter. Quelques obus furent ensuite lancés sur différentes oasis, notamment sur l' oasis d' Oudaghir, située à une très grande distance, de façon à montrer aux marocains la puissance et la portée des canons français. Pour terminer, le feu fut dirigé sur le minaret de la mosquée situé à l' intérieur de Zenaga. Cette mosquée étant très vénérée, sa destruction fera une grande impression sur les Figuiguiens. Le minaret a été coupé en deux et les ailes de droite et de gauche éventrées. Ajoutons, qu' avant le bombardement, la plus grande partie des femmes et des enfants avaient eu le temps de s' éloigner et de se mettre à l' abri de nos projectiles. Peu d' officiers connaissent la région de Figuig, où nos troupes opèrent, aussi bien que le générale O'Connor qui l' a étudiée à fond pendant les sept ans qu' il a passés à Oran où il fut lieutenant-colonel, puis colonel du 2e chasseurs d' Afrique. Le général de division O'Connor a cinquante-six ans à peine ; il est donc l' un de nos plus jeunes divisionnaires ; il est aussi l' un des plus brillants et des plus aimés du soldat. Sa famille est illustre et très ancienne ; l' un de ses ancêtre était roi d' irlande au onzième siècle. Le grand-père du général, poursuivi par les Anglais pour une brochure où il réclamait l' indépendance de son pays, s'unit au général français Hoche quand ce célèbre homme de guerre fit une tentative de débarquement sur les côtes d' Irlande. L' insuccès de cette expédition força O'Connor à se réfugier en France, où Napoléon ( fait unique dans l' histoire militaire de l' époque ) le nomma d' emblée général de division, sans qu' il eût passé par un autre grade. Le vainqueur de Figuig a eu plus de mal à conquérir ses grades que son aïeul. Pendant la guerre de 1870, le général O'Connor était aux guides : il se conduisait vaillamment sous les murs de Metz. En 1871, il était officier d' ordonnance du général de Galliffet : puis il remplit les mêmes fonctions auprès des généraux de Rochebouet et Borel, ministres de la guerre. Il fit la campagne de Tunisie ; puis il revint à Oran, où il prit le commandement de la superbe division de cette province. Partout il se montra soldat intelligent, énergique, courageux jusqu' à l' héroïsme, chef expérimenté, plein d' activité et de sang-froid. Depuis des mois et des mois qu' il signale aux politiciens au pouvoir les graves dangers que faisait courir à notre belle colonie algérienne leur inexplicable pusillanimité, il fit preuve d' une patience et d' une soumission militaire bien méritoires. Soldat discipliné, " rongeant son frein " , en silence, le général O'Connor resta impassible devant la mort de nos soldats assassinés presque journellement, nos convois enlevés, nos sentinelles attaquées ; devant les insultes journalières faites à notre drapeau par les pillards marocains, enhardis par notre apparente faiblesse. Il vient de prouver avec éclat qu' il méritait pleinement la confiance que le pays a en lui. Le général de division O'Connor est commandeur de la Légion d' honneur.

Le Petit Journal du 21 Juin 1903