Le sauvetage des passagers

Un effroyable catastrophe, dont le triste souvenir sera long à s' effacer, vint d' avoir lieu à une heure du port de Marseille, dans les conditions les plus extraordinaires et les plus imprévues. Deux bateaux de la Compagnie Fraissinet se sont abordés en plein jour, par un temps très clair, une mer absolument calme, sans qu' aucun accident de machine empêchât l' un ou l' autre de gouverner. L' un des deux bateaux, le Liban, qui avait une large déchirure à tribord, a coulé en quelques minutes, entraînant dans la mort ses malheureux passagers ; l' autre, l' Insulaire, avec de fortes avaries, est rentré à Marseille. Le Liban se dirigeait vers la Corse. A l' est de la jetée se trouve l' île de Maïre, sorte de gros rocher que les paquebots sortants ont la déplorable habitude de tourner au plus près afin de gagner du temps ; il en-résulte qu' ils ne voient pas devant eux, le rocher leur masquant la mer pendant un certain temps. Le capitaine du Liban aperçut tardivement l' Insulaire qui venait sur lui. Des signaux furent échangés. Ne furent-ils pas compris, les manoeuvres furent-elles tardives ou mal exécutées ? Toujours est-il que l' Insulaire se jeta violemment sur le Liban et l' éventra. Naturellement, les capitaines des deux navires affirment qu' ils ont manoeuvré comme ils devaient le faire. Nous nous garderons bien de porter un jugement : cela incombe à ceux qui sont chargés officiellement de l' enquête. Le nombre des victimes est considérable ; mais il eût été plus grand encore sans le dévouement d' hommes tels que le commandant Carriès, capitaine du Balkan ; le patron Imbert et son équipage montant le Bleschamp, du service de pilotage etc., etc. Le courageux sang-froid de tous ces braves gens, connus et inconnus, leur infatigable dévouement ont épargné bien des malheurs. Il faut déplorer que l' Insulaire n' ait pas laissé ses embarcations sur le lieu de l' accident, bien des vies auraient été épargnées, le nombre des victimes serait moindre.

Le Petit Journal du 21 Juin 1903