Victor-Emmanuel III, roi d' Italie, et la reine Hélène

 

Dans quelque jours, la France recevra la visite de Victor-Emmanuel III, roi d' Italie : S. M. la reine Hélène, un peu souffrante, ne peut, malheureusement, l' accompagner dans son voyage. Depuis 1870, nos relations avec la " soeur latine" étaient empreintes de quelque froideur. Certains souvenirs encore récents semblaient gêner nos voisins. En 1859, la France, en répandant généreusement le plus pur de son sang, avait largement contribué à fonder l' unité italienne par l' écrasement de l' Autriche. Admirable conception politique, comme on le vit bientôt ! L' Autriche affaiblie par nous ne put, sept ans plus tard, résister à la Prusse, laquelle, devenue très forte par la retentissante victoire qui lui donna la prépondérance en Allemagne, nous fit chèrement payer, en 1870, notre imprudence. Cependant l' Italie s' empressait de profiter de nos défaites de 1870 pour s' emparer de Rome dont nous avions garanti l' indépendance, et, peu après, formait une triple-alliance avec les Autrichiens, ses ennemis de la veille dont nous l' avions délivrée, et des Prussiens qui venaient de nous écraser. Mais Crispi, devenu ministre par la faveur, ou plutôt la faiblesse du roi Humbert I er, avait été joué par Bismarck, son illustre modèle, et l' on s' en aperçut vite, au delà des Alpes, au désarroi des finances : la rente italienne tomba à 76 francs. Et ce ne furent alors ni les Autrichiens, ni même les Allemands, qui vinrent en aide à leurs fidèles alliés ; et les Italiens concevaient de fortes inquiétudes quand ils se souvinrent, qu' après tout, la France et ses économies étaient là. La bonne galette française valait bien une risette. L' Italie fit le sourire attendu par le quai d' Orsay et, généreuse, modifia son attitude à notre égard : la diplomatie de M. Delcassé fit chorus. Les finances de l' Italie, grâce à la sage politique intérieure du nouveau roi, grâce à l' abandon de la politique coloniale de ce " dindon " de Crispi, grâce surtout ... à la bienveillance de notre diplomatie, s' améliorèrent rapidement, et aujourd'hui elles ont une prospérité que nous sommes en droit de lui envier : la rente italienne fait 104 francs et la rente française est au-dessus de 97 francs. Nous nous empressâmes, naturellement, de conclure des conventions commerciales, avantageuses pour nos voisins, M. Delcassé reçut un grand-cordon quelconque, et tout alla pour le mieux dans le meilleur des mondes latins. Bien entendu l' Italie est restée et restera l' alliée fidèle de l' Autriche et des conquérants de Metz et de Strasbourg ; mais elle nous aime bien tout de même. Son roi, diplomate habile, tient à venir, pour nous dire lui-même, dans notre capitale, que tout cela est très naturel !. Le roi Victor-Emmanuel III est le fils et le successeur d' Humbert I er, assassiné à Monza par un anarchiste fanatique, le 29 juillet 1900, Le jeune roi est né à Naples en 1869. Il fit des études très sérieuses, montrant beaucoup d' application au travail et étonnant tous ceux qui l' approchaient par sa finesse diplomatique, sa largeur d' idées et l' étendue de ses connaissances. De taille peu élevée, il n' a pas les instincts guerriers de la robuste maison de Savoie, dont l' origine remonte à 1032, et dont il est le dernier rejeton mâle, jusqu'à présent du moins. Car s' il n' est pas accompagné, pendant son séjour en France, de la reine d' Italie ( dont nous n' avons pas voulu séparer l' image de la sienne à notre première page ) , c' est que sa très gracieuse et très justement populaire Majesté la reine Hélène, princesse de Monténégro attend prochainement la naissance d' un héritier ou ... d' une héritière. Le roi d' Italie sera accueilli parmi nous avec la plus grande urbanité. Comme pour le roi d' Angleterre, le peuple français, qui voit clair et qui ne se laisse plus prendre aux boniments gouvernementaux, saura se montrer courtois et très correct.

Le Petit Journal du 5 Juillet 1903