Au Vatican

Le pape Léon XIII reçoit les derniers sacrements

Le pape Léon XIII a atteint l' âge de quatre-vingt-treize ans : il a vingt-cinq ans de pontifical. Avec lui, c'est tout un monde qui disparaît, c' set une phase de l' histoire qui se ferme. L' heure de la mort du souverain pontife sera une date. L' événement a une importance capitale, immense. La France ne saurait oublier ce que l' auguste vieillard du Vatican a fait pour elle. Au risque de mécontenter ses amis les plus ardents, Léon XIII conseilla aux catholiques français le ralliement à la République : il souhaita la concorde, la conciliation, le désarmement et le respect du gouvernement établi librement choisi par la Nation. Léon XIII aimait la France et il ne manqua jamais l' occasion de témoigner son affection à ce grand pays, et cela malgré l' hostilité de son entourage, malgré nos erreurs et les avances intéressées et très habiles de nos rivaux, des ennemis de l' influence française. A un moment donné il eut même une pensée splendide. Désireux de voir finir l' ère des guerres, de rappeler les hommes à la Fraternité prêchée par le Christ, le souverain Pontife pensa , un moment, réunir un congrès qui résoudrait cette question de l' Alsace-Lorraine, cause principale, sinon unique, des luttes futures et des écrasantes dépenses des nations européennes dans un ruineux Statu quo armé. Il voulait créer entre l' Europe centrale et la France une zone neutre qui, partant de la Hollande, englobant l' Alsace et la suisse, eût empêché à tout jamais des contacts dangereux. La généreuse pensée du Pontife ne fut point comprise. S' il aima la France d' une façon toute particulière, Léon XIII eut le culte de son pays, et les Italiens l' ont reconnu en l' entourant du plus affectueux respect. Après les terribles désastres d' Abyssinie, où l' armée italienne fut écrasée par le Négus, il intervint avec la plus vive sollicitude, et très efficacement, en faveur de ses compatriotes auprès de l' empereur Ménélik, vainqueur d' Adoua.

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Léon XIII fut proclamé pape il y a vingt-cinq ans, à la mort de Pie IX. Il s' appelait Joachim Pecci. Il était né le 2 mars 1810, à Carpinetto, d' une famille noble, très anciennement originaire de Sienne. Sixième enfant du colonel Pecci, on le croyait malingre, débile ; il montra de bonne heure qu' il ne l' était pas. Le duché de Bénévent, soumis à l' autorité du pape et en clavé dans le royaume de Naples, était en pleine révolution. Sur les instances du cardinal Sala, qui s' y connaissait en hommes, et qui fut l' un des négociateurs du Concordat, le pape Grégoire XVI déléguait, dans ce poste difficile et périlleux, le jeune Pecci ; en quelques jours, la révolte était domptée et le calme rétabli. Charmé de ce succès, Grégoire envoya le délégué de Bénévent à Pérouse, où s' agitait désespérément le carbonarisme. Le succès de Pecci fut pareil, et comme le pape voulait le constater par lui-même, en vingt jours, le jeune cardinal fit ouvrir une colline et tracer une route commode où put passer le carrosse de son souverain. Gouverneur énergique, administrateur habile, le futur pape ne cessa de se montrer diplomate de premier ordre, lorsqu' il fut nommé nonce à Bruxelles. Le cardinal Mastaï, devenu pape sous le nom de Pie IX, le tint en grande estime ; mais il portait ombrage au tout-puissant Antonelli, qui redoutait son influence. Joachim Pecci fut donc, pendant de longues années, laissé en oubli dans son archevêché de Pérouse jusqu' au jour où Pie IX se souvint de lui et lui donna le titre si envié de camerlingue. A la mort de son protecteur, par quarante-quatre voix sur soixante, il fut proclamé pape et pris le nom de Léon XIII, par respect pour la mémoire de Léon XII. Deux papes seulement ont vécu plus longtemps que Léon XIII. Lorsqu' il aura disparu de la scène du monde, où il tint une si grande place, Léon XIII laissera à tous, quelle que soit leur façon de voir en matière de religion, le souvenir de l' une des plus grandes, des plus laborieuses et des plus vénérables figures des temps modernes.

Le Petit Journal du 19 Juillet 1903