La famille Humbert en Cour d' assises

 

Thérèse Humbert, la grande Thérèse (comme l' on dit communément) et sa bande d' aventuriers de haut vol, ont fait sensation aux audiences de la Cour d' assises. Il fallait s' y attendre. Quelles audiences ! Quelle assemblée ! Il faut nous reporter aux plus sensationnelles journées de la Cour d' assises, aux grands procès de Campi, Pranzini, Gohier ou Zola, pour nous rappeler plus nombreuse et plus élégante chambrée. Seize mois après son effondrement et sa fuite, la belle-fille de l' ancien garde des sceaux Humbert, sénateur inamovible, procureur général, président de la Cour des comptes, fait salle pleine ; elle n' a cessé (chose rare en ce pays si vite oublieux) d' étonner et de retenir la curiosité publique. Parleur attitude, les quelques douzaines de favorisés qui ont pu assister à ces mémorables séances, ont semblé ( je m' empresse de le déclarer) avoir pardonné à la célèbre Toulousaine ses... frasques passées. Le public sent, d' instinct, que cette fantastique aventure dépasse l' actualité : elle est de celles où apparaît " l' armature d' une époque ". Dans tous les cas, enclin à l' indulgence pour Mme Humbert, et vu, sans doute, sa merveilleuse habileté à opérer, à rouler, et les avocats naïfs, et les gogos; à traiter avec certains magistrats tarés, avec des politiciens véreux, besogneux, à s' entendre avec les filous les plus huppés, les plus décorés, les plus haut placés, et, aussi, le peu d' honorabilité de quelques-unes de ses victime, tout le monde s' est vivement intéressé et amusé au récit des actes de la célèbre aventurière et de ses compromissions financières et politiques. Une fois de plus, nous voilà édifiés sur les jolies moeurs du haut personnel politico-gouvernemental, administratif et judiciaire auquel les destinées de notre pays sont confiées. C' est en exploitant les besoins des politiciens, la bêtise et la crédulitéde certains gogos, " les mensonges de la civilisation moderne", que l' étonnante menteuse, arrivée à Paris sans le sou, a pu devenir la commensale adulée des plus hautes personnalités du gouvernement et du Palais de justice, la châtelaine des Vives-Eaux, de Celeyran, d' Orsonvalet et autres lieux. Comme on l' a fort bien dit: Thérèse Humbert ( je ne parle pas ici des comparses qu' elle a fait manoeuvrer) semble avoir, pour commettre ses méfaits, étudié tous les rouages sociaux, en avoir découvert les faiblesses et les vertus et les avoir adaptées à ses besoins. Magistrats,politiciens, fonctionnaires, gens du monde, gens d' affaires, usuriers et hommes de loi, elle les a tous employés, au milieu de la complicité générale, à l' accomplissement de ses desseins, les maniant avec une sûreté de direction, une dextérité merveilleuses. Parmi les ficelles embrouillées du grand guignol parisien, elle a toujours discerné celle qu' il fallait tirer pour faire agir le personnage vers la péripétie nécessaire... Ainsi, comme d' autres mettent un roman dans leur vie, on peut dire que, dans la sienne, elle a mis la Comédie humaine." Quel merveilleux ministre des finances cette femme-là aurait fait, si elle avait été homme! " a dit un haut fonctionnaire, à côté de moi, à l' audience. Comme est juste cette réflexion, si originale au premier abord ! Au point de vue de l' honnêteté et des scrupules, en tout cas, elle en aurait bien valu d' autres. Et tout cela fut fait machinalement, fatalement, d' instinct. Mme Humbert ne savait pas tout ce qu' avaient de savant ses procédés de tromperie. Son jeu était bien simple, toujours le même. Elle offrait aux prêteurs des garanties tant et plus, et autant de preuves. Aux capitalistes, elle offrait un placement avantageux. Puis elle charmait tout le monde par son apparente bonhomie. Enfin, elle ouvrait le fameux coffre-fort. Avec l' émotion d' un cambrioleur qui redoute que le volé se réveille, elle sortait les enveloppes cachetées: par des procédés de cabinet noir, elle arrivait à les ouvrir sans briser les scellés. Elle faisait regarder, toucher les titres à l' incrédule qui partait ravi, convaincu, confus d' avoir douté, s' excusant de son scepticisme : et l' épreuve avait à ses yeux d' autant plus de valeur qu' il savait que pour d' autres ce coffre était resté fermé inflexiblement. Ceux qui l' ont approchée la disaient - ils la disaient, car ils n' en parlent plus - simple, naïve " bonne femme " incapable d' un calcul. Combien sortent aplaties de ces audiences les peu intéressantes victimes sur lesquelles s' est appesantie la lourde main de l' amie du conseiller d' état Jacquin, membre du conseil supérieur de la Légion d' honneur, resté l' occulte directeur du personnel au ministère de la Justice, grand réformateur de la magistrature française. (Oh ! ironie des chose !) Et ces vers du poète Marot me revenaient à la mémoire en écoutant cette femme étonnante, qu' immortaliseront les annales judiciaires, présenter sa défense, attaquer les anciens amis " qui l' ont si bien lâchée ", qui l' ont impudemment " reniée ", lorsqu' elle s' est trouvée " dans les difficultés ", démontrer la vérité de ses si superbe conviction, une éloquence si convaincue et un masque si trompeur d' innocence, qu' elle en devenait presque sympathique :

Lorsque maillard, juge d' enfermenoit
A Montfaucon Semblançay l' âme rendre,
A votre advis, lequel des deux tenoit
Meilleur maintien ? Pour vous le faire entendre,
Maillard semblait homme que mort va prendre
Et Semblançay fut si ferme vieillard,
Que l' on euidait pour vray qu' il menoit prendre
A Montfaucon le lieutenant Maillard.

Le Petit Journal du 16 Août 1903