Terrible catastrophe du Métropolitain

 

Découverte des premiers cadavres

Une horrible catastrophe qui rappelle le sinistre incendie du Bazar de la Charité, vient de désoler et d'éprouver Paris et le remplir de deuil. Cette fois, les victimes sont, presque toutes, de modeste travailleurs qui rentraient joyeusement au logis après une dure journée de labeur, leur besogne achevée. A 7 h. 20 du soir, le train 43 du Métropolitain subit un arrêt à la station du boulevard Barbès. On fit descendre les voyageurs et remorquer par le train 52, qui était vide, le 43 en détresse. On espérait les faire arriver ainsi jusqu' au dépôt de la Nation, mais comme ils passaient devant la station des Couronnes, le chef de gare s' aperçut que la machine du 43 prenait feu. Vivement, il téléphonait à son collègue de Bellville d' interrompre le courant, il était trop tard ; les deux trains de six wagons en pitchpin verni prenaient feu, en même temps une fumée effroyable se répandait par le souterrain. Avec toutes les peines du monde, les employés faisaient évacuer les quais par les voyageurs, qui, au lieu de s' enfuir, s' entêtaient à regarder les progrès de l' incendie ou à réclamer leur argent ou à crier contre la Compagnie. Cependant, un troisième train arrivait bondé à la gare des Couronnes. Les employés crièrent aux voyageurs de s' enfuir en toute hâte ; par malheur, l' électricité s' éteignit. On sait le reste. Les malheureux voyageurs se trompèrent de chemin : au lieu de se diriger vers l' escalier, ils allèrent s' écraser de l' autre côté, contre un mur. On a trouvé, de-ci de-là, en tout 84 cadavres. Venir à leur secours, il n' y fallait pas songer. Quinze fois les pompiers, qui déployèrent en ces tristes circonstances, et comme toujours, du reste (les braves gens !) un courage admirable, essayèrent de descendre ; malgré les appareils les plus perfectionnés, l' asphyxiante fumée les repoussa. C' est au matin seulement, vers cinq heures, que l' on parvint jusqu' aux premiers cadavres. Vers deux heures du matin, je vois rassemblés, prêts à tous les courages, autour de l' entrée de la station des Couronnes qui vomit des torrent de fumée noire, torride, empestée, l' état-major des sapeurs-pompiers, dont la lueur des torches de résine éclaire les casques, le colonel Bellanger, le commandant Cordier ; le docteur Bordas, du laboratoire municipal ; M. Mouquin, chef de la police municipale ; MM. Grillières, Girard, commissaires de police des quartiers voisins ; M. Poilet, ingénieur du Métropolitain, que l' on est allé réveiller à minuit pour avoir quelques détails sur la construction de la gare et la résistance de la voûte du tunnel ; MM. Berthaut, Gély, Weber, Rozier, conseillers municipaux ; le docteur Grumberg ; M. Vignes, ingénieur de la ville de Paris ; M. Bélières, directeur de la Pharmacie normal, etc.,etc. Enfin le colonel des pompiers, accompagné de M. Lépine, préfet de police, dont le sang- froid, la présence d' esprit et le courage sont au-dessus de tout éloge, put atteindre le quai où ils pensaient trouver des victimes. Au bout de quelques minutes, ils réapparaissaient. Ils avaient parcouru l' atroce calvaire, ils avaient vu des cadavres : il y an avait jusque dans l' escalier, au bas des marches d' accès, les uns sur les autres, sur le quai, sur la voie, partout. Évaluer leur nombre, vu la fumée, était encore impossible. C' était la catastrophe redoutée, et cette terrible nouvelle, vite colportée, jetait l' épouvante dans Paris qui se réveillait.

Le Petit Journal du 23 Août 1903