A Boulogne-sur-Mer

 

Procession mise en déroute par une automobile

Un grand nombre de nos confrères de la presse, en protestant énergiquement contre certains faits qui se seraient passés à Boulogne pendant la célèbre procession qui amène tant de visiteurs dans cette ville charmante, ont contribué à accréditer une légende. Il nous semble juste de remettre aujourd'hui les choses au point afin de ne pas faire peser sur une vaillante et très hospitalière population maritime une réputation de brutalité sectaire qu' elle ne mérite pas. Seul, d' ailleurs, ou à peu près, le Petit Journal, toujours exactement informé, à présenté, dès le lendemain même, à ses lecteurs, les faits incriminés sous leur véritable jour ; il a fait, avec son exactitude et son impartialité habituelles, en quelques lignes, justice de ces racontars. On a raconté que la célèbre procession, qui a lieu tous les ans à Boulogne-sur-Mer au moment de l' Assomption, avait été attaquée, dispersée par des manifestants hostiles, que des enfants, des jeunes filles, des femmes, avaient été renversés par des forcenés intolérants, piétinés avec sauvagerie par les partisans de la politique antireligieuse de M. Combes... que sais-je encore ? A qui connaît la sage population de Boulogne, la nouvelle parut tout de suite étrange. On sut bientôt, d' ailleurs, par la dépêche du correspondant particulier du Petit Journal , à quoi s' en tenir ; il s' agissait d' une simple panique provoquée bien involontairement par l' arrivée subite... et très bruyante d' une automobile, et aussi, il faut l' ajouter, par la nervosité du public, très monté par les bruits tendancieux mis en circulation depuis quelque temps par des malveillants. La procession de Boulogne est célèbre, et à juste titre. On vient de très loin pour la voir. Le commerce de la ville ne souffre point, très au contraire, de cette affluence de visiteurs, et c' est là, très certainement, une des raisons qui font qu' elle a été tolérée, autorisée cette fois encore par les maîtres de l' heure. Cette année comme les autres, la procession , très brillante, était descendue de l' admirable basilique qui domine la ville et où se trouve la Vierge Miraculeuse. Elle se déroulait dans la grande-rue, au milieu d' une foule respectueuse, quand une automobile venant de la rue Thiers déboucha tout à coup sur la place Dalton. Le chauffeur vit qu' il ne pouvait avancer et stoppa, tant par bonne volonté que par obéissance à l' injonction véhémente d' un agent de police esclave de sa consigne. Le bruit que fit alors la machinerie arrêtée subitement, fut perçu très loin. Les protestations des chauffeurs, la pétarade sonore du moteur firent croire à une attaque des groupes de la Libre-Pensée, à une décharge de revolvers. Les personnes qui ne pouvaient voir l' innocente machine crurent à un attentat contre les processionnaires de tête. Les enfants de la procession, entendant des cris, s' imaginèrent qu' ils étaient menacés et, pris d' une folie panique, s' enfuirent en désordre. Des femmes crièrent, des enfants tombèrent, s' enfuirent ; les enfants de choeur jetèrent leurs cierges, les bannières et les statues des saints. On parvint enfin, et non sans peine, à les rallier et le cortège repris sa marche. Mais au coin des rues Faidherbe et Victor-Hugo , la même automobile, qui cherchait sa route, rencontra encore une fois la procession. La bagarre recommença, plus importante cette fois. La procession fut coupée en plusieurs tronçons, et quand la tête arriva près de la rue Poète-Wallotte, sur le quai Gambetta, à la suite de cris poussés on ne sait pourquoi, on ne sait par qui, une terreur folle s' empara de la foule. Des jeunes filles, voulant fuir, se heurtèrent à qui mieux mieux et se renversèrent les unes les autres; plusieurs, atteintes par les bannières et les emblèmes, s' évanouirent. Ce fut, pendant quelques minutes, un inexprimable désordre. Par bonheur, personne ne fut blessé sérieusement. Donc, aucune manifestation hostile à la procession n' eut lieu à Boulogne : mais il y eut une série de paniques qui ne s' explique que trop, hélas ! en ce temps de liberté, de tolérance, de respect de toutes les croyances, que M. Combes a inauguré dans notre beau pays avec tant de succès.

 

Le Petit Journal du 6 Septembre 1903