Les chefs d' État échangent en ce moment beaucoup de visites. La France recevait récemment, avec éclat, les rois d' Angleterre et d' Italie ; puis, plus simplement, suivant en cela leur désir, les rois des Belges et de Grèce. On s' applique, naturellement, à donner à ces visites le plus grand éclat. Ce qui s' est dit entre les chefs d' État ou leurs ministres, le public n' en sait rien ; mais il s' efforce de le deviner ; et, du besoin de paraître bien informé naissent parfois les commentaires le plus invraisemblables. C' est ce qui vient de se produire à propos de la récente entrevue du tsar et de l' empereur d' Allemagne. Le tsar, dont on connaît les sentiments, se trouvait à Darmstadt, en vacances, dans la famille de l' impératrice sa femme ; l' empereur d' Allemagne l' y alla voir, et, à son tour, le tsar rendit, à Wiesbaden, sa visite à l' empereur, avec lequel il a toujours entretenu d' excellentes relations de parenté et de bon voisinage. C' est un acte de politesse, de courtoisie internationale. Tout cela n' est que très normal et très naturel et il n' y a pas de quoi mettre les cervelles à l' envers à l' idée qu' il va se tramer à Wiesbaden quelque chose de mystérieux. Cet échange de visite entre les deux souverains ayant un caractère privé, n' est, d' ailleurs, pas le premier. M. de Bulow, chancelier d' Allemagne, et le comte Lamsdorf, ministre de Russie, ont longuement conféré ensemble ; mais il ne faut pas oublier que, quelques jours auparavant, le comte Lamsdorf était venu officiellement à Paris, pour s' entendre avec M. Delcassé, notre ministre des affaires étrangères. Ce détail seul devait suffire à calmer certaines inquiétudes patriotiques françaises, des plus respectables assurément. Sans doute les souverains de Russie et d' Allemagne ont convenu entre eux d' une ligne de conduite en ce qui concerne la Macédoine. Si leur accord amène la pacification de ce malheureux pays et l' exécution des promesses faites par le sultan, l' Europe tout entière n' aura qu' à se féliciter de l' entrevue de Wiesbaden. Si, d' autre part, Nicolas et Guillaume ont parlé de l' Extrême-Orient, s' ils ont dissipé les nuages noirs qui se forment du côté du Japon, la paix du monde y gagnera. Tout en restant attentive aux faits et gestes de son alliée, la France doit garder tout son calme.
Le Petit Journal du 15 Novembre 1903