Les internationalistes, ceux qui prêchent au nom d' une vague sentimentalité l' oubli des griefs les plus sacrés, et qui, par contre, ne craignent pas d' attiser entre les citoyens d' une même nation les haines et les discordes politiques, les émeutes sanglantes, ont reçu de la Chambre des députés une leçon complète et sévère. C' était à propos du budget des affaires étrangères. Au sujet de la question du désarmement, le rapporteur, M. de Pressensé, osa déclarer " qu' aucun Français ne voulait, qu' aucun n' avait jamais voulu de la revanche ! " Ces honteuses paroles soulevèrent une indignation presque générale. Un tollé formidable s' éleva et l' on vit alors la presque unanimité de la Chambre unie dans un même mouvement spontané d' indignation patriotique. Le colonel Rousset, dont la voix puissante dominait le tumulte, s' écria : " Au nom de l' Alsace-Lorraine mutilée et du département frontière que je représente, je vous inflige, monsieur de Pressensé, un démenti catégorique pour les paroles impardonnables que vous avez prononcées ! " M. Paul Doumer s' empressa, hâtons-nous de dire, de répudier, avec la plus patriotique énergie, au nom de la commission du budget, qu' il préside, le rapporteur qui trahissait avec une telle indignité le mandat qu' il en avait reçu. M. de Pressensé, non content de s' attirer, comme rapporteur, un désaveu retentissant de la part de l' honorable président de la commission du budget, a réussi à préparer à M. Jaurès un double échec et à provoquer, en obligeant la majorité à prendre position sur le terrain du patriotisme, une manifestation qui indique tout au moins que l' immense majorité du pays - contre laquelle n' a pas osé se dresser la majorité parlementaire - longtemps encore restera réfractaire aux doctrines avilissantes de l' internationalisme révolutionnaire. Mais combien il est triste, un tiers de siècle après l' invasion de l' année terrible, les incendies volontaires, les fusillades d' instituteurs, de femmes, de vieillards et d' enfants, les massacres barbares et le démembrement, de constater qu' une fraction même infime du peuple vaincu, mutilé, a tout oublié, n' a rien compris, ou est tombée dans un tel état de déliquescence morale, que ses représentants en viennent à se coucher aux pieds du Prussien vainqueur, pourvu qu' il les fasse vivre et dormir en paix. Les paroles de M. Jaurès ou de M. de Pressensé ne sont pas seulement honteuses et sacrilèges; elles sonnent comme l' écho de celles que l' on entendait déjà au parlement de la fin du second Empire, alors qu' une poignée de mystiques de l' antimilitarisme nous préparait les désastres de 1870. Ne vous y trompez pas un instant, ajoute fort tristement un de mes confrères, une telle manifestation aura du retentissement en Allemagne, et l' écho qu' elle y éveillera ne peut être que fâcheux. D' abord, les gazeliers d' outre-Vosges s' en empareront pour dénoncer une fois de plus à l' Europe le péril de guerre où la met notre incorrigible chauvinisme. Cette levée de plumes teutonnes est de peu de conséquence ; mais il se pourrait que l' astucieux de Bülow saisit aux cheveux l' occasion qui s' offre de demander au Reichstag de nouveaux crédits militaires et que, par ainsi, le débat, purement incidentel, auquel vient de donner lieu notre budget des affaires étrangères , eût cette conséquence tout à fait imprévue d' accroître les moyens offensifs de l' ennemi sur notre frontière. Cependant, cette manifestation, il était devenu, du fait de MM. de Pressensé et Jaurès, impossible de ne pas la faire. A la question posée par ces deux pontifes de l' internationalisme, aucune Chambre française n' eût pu faire une autre réponse que celle qui a été faite. C' est assez d' avoir signé le traité de démembrement une fois ; il n' y a vraiment pas de raison pour reboire, tous les jours, les larmes qu' il nous a fait verser. Rien n' obligeait donc à parler de ces choses ; mais, du moment que les " bêleurs de paix ", comme les appelle M. Clémenceau, en parlaient, on ne pouvait dire que ce qui a été dit .
Le Petit Journal du 6 Décembre 1903