L' Égypte antique

Les fouilles de M. Gayet, à Antinoé

Un savant français des plus remarquables, M. Gayet, a fait en Égypte, au grand honneur de notre pays, d' importante découvertes archéologiques qui augmentent singulièrement le patrimoine de la Science et de nos grand musées nationaux. Au nombre des découvertes les plus sensationnelles se trouve la momie de la célèbre Thaïs, encore revêtue de ses voiles familiers. M. Gayet ne s' est pas contenté d' exhiber sans commentaires les objets séculaires découverts par lui dans les sables égyptiens, ce qui aurait pour reconstituer une époque sur laquelle nous n' avions encore que d' assez vagues documents. L' année dernière déjà, il nous montrait une momie qu' il avait trouvée avec des fragments de son costume et nous définissait avec une exactitude frappante la façon dont s' habillaient les élégantes d' Antinoé ; cet autrefois datant de l' époque alexandrine. Il y a quelque jours, il a fait mieux encore. Avec lui, nous sommes entrés réellement dans les temples de l' antique Égypte. Le culte des morts n' a pas de secrets pour M. Gayet, et ce que notre éminent compatriote sait, il le révèle avec une clarté parfaite. Pour compléter sa démonstration il a évoqué les danses sacrées d' autrefois. Les peintures des tombeaux thébains lui ont fourni les moindres gestes des danses religieuses du culte osiriaque et isiaque ; il les a enseignés à de charmantes artistes : Mlles Cerutti, Cribier, Wathley et de Poug, qui les ont exécutés devant le public, pour la plus grande joie de l' esprit et des yeux. On a, alors, compris que la danse dans les temps antiques était une prière, une forme du culte, une matérialisation, pour ainsi parler, des symboles religieux.

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M. Gayer a accompli une oeuvre admirable dont il faut lui être grandement reconnaissant ; mais il serait injuste d' oublier tous ceux au dévouement désintéressé desquels il doit d' avoir si bien réussi. M. Rouvier n' a pas d' argent pour M. Gayet : M. Gayet n' a pu obtenir, cette année, la moindre subvention du gouvernement. L' État, malheureusement, si prodigue de nos deniers quand il s' agit de dépenses aussi inutiles qu' électorales, quand il s' agit de caser des parents ou amis des parlementaires de sa majorité, fruits secs, trop souvent , des carrières libérales, n' a pas d' argent pour les savants ; et M. Gayet se fût trouvé bien empêché pour continuer ses fouilles, s' il n' était soutenu par la caisse de la nouvelle Société française des fouilles archéologiques, fondée à l' exemple de réunions semblables qui existent en Angleterre et en Allemagne. Cette Société a fait beaucoup déjà ; malheureusement ses ressources ne sont pas inépuisables. Il serait vivement à souhaiter que lui vinssent en aide tous ceux dont l' âme s' intéresse aux poétiques mystères du passé et à l' enrichissement de nos collections nationales. Les Anglais et les Allemands, les poches amplement garnies, guettent nos savants égyptologues et attendent le moment où ils seront forcés d' abandonner, faute de ressources, les terrains d' exploration que leur science les a fait découvrir, pour s' y installer et continuer leur oeuvre pour le plus grand profit des musées de Londres et de Berlin. C' est profondément triste.

Le Petit Journal du 10 Janvier 1904