Incendie du théâtre de Chicago
Terrible panique - 587 morts
La catastrophe du théâtre-Iroquois, à, Chicago, vient d' ajouter une nouvelle page à la tragique histoire du feu dans les théâtres. La soudaineté du fléau fut terrible : la flamme surgit de la scène, se rua dans la salle comme une bombe... Et pourtant ce ne furent ni le feu ni le gaz délétères qui firent le plus de ravages. Cette fois encore, ce fut à la panique qui s' empara de la foule affolée qu' il fallut rapporter le plus grand nombre des victimes. Une statistique assure que tous les théâtres sont destinés à périr par l' incendie dans une période moyenne de vingt-deux ans en Europe et de dix ans seulement en Amérique. Cette statistique me paraît singulièrement pessimiste. Néanmoins, il est bien certain qu' en ce qui concerne l' Amérique, les incendies de théâtres y sont très fréquents. Dans l' espace d' un siècle, toutes les grandes villes : New-York, Richmond, Boston, Québec, Cincinnati, La Nouvelle-Orléans, Saint-Louis, Philadelphie, San-Francisco virent tour à tour, et souvent même à plusieurs reprises, brûler leurs salles de spectacles. Dans la même période, Londres compta quatorze incendies de théâtres, et Paris en eut quinze à déplorer. C' est la Comédie-Française qui ouvrit la série en 1818 et qui la ferma en 1900. Dans l' intervalle, le feu détruisit l' Ambigu, les folies-Dramatiques, la Gaité, le Théâtre-Italien, le Vaudeville de la rue de Chartres ; puis, en 1873, l' Opéra de la rue Le Peletier, et enfin, le 25 mai 1887, l' Opéra-Comique, où les constatations officielles accusèrent 110 morts et autant de blessés. Au reste, il n' est pas une grande cité qui n' ait eu à déplorer quelque calamité de ce genre. Qu' il nous suffise de rappeler les principales :
Ce sont : à Saint-Pétersbourg, en 1836, l' incendie du cirque Lehmann, qui fit 800 victimes ; celui du théâtre de Canton, en 1845, où près de 1,700 spectateurs furent étouffés et brûlés; celui du théâtre de Quebec, en 1846, qui coûta la vie à plus de 600 personnes; le théâtre de Carlsruhe brûla en 1847, celui de Livourne en 1857, et chaque fois 100 victimes furent dévorées par les flammes. En 1876, le théâtre de Conway, le Brooklyn, fut anéanti avec 400 spectateurs. Moins de cinq ans après, c' était la catastrophe du théâtre-Italien, de Nice, qui causait la mort de 70 personnes. Le 8 décembre 1881, un sinistre épouvantable se produisit à Vienne. Le Théâtre du Ring fut incendié et entraîna dans sa ruine 1,100 victimes. Enfin, l' incendie du théâtre-Iroquois de Chicago vient clore - pour longtemps, espérons-le - cette sinistre revue.
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Après l' évocation de tant de faits tragiques, et puisque j' ai parlé plus haut de statistiques, permettez-moi de vous en citer une encore, la dernière: c' est celle qui prouve que parmi les théâtres incendiés, les deux tiers environ brûlent en dehors de toute représentation. Puisque cette constatation calmer nos craintes et contribuer à ne pas nous priver de notre plaisir favori.
Le Petit Journal du 17 Janvier 1904