Cosaques et Koungouses

Dans la construction de l' immense voie ferrée qui relie Saint-Pétersbourg à l' océan Pacifique, les Russes n' ont pas eu seulement à surmonter des difficultés naturelles telles que la traversée du lac Baïkal ou celle des plateaux montagneux qui bordent ce lac vers le Sud. Il leur fallut encore défendre leur oeuvre gigantesque contre les déprédations des brigands mandchouriens, les Koungouses. On sait que la Mandchourie, qui est grande comme deux fois la France, se partage en deux régions bien distinctes : la plaine que traverse le chemin de fer, pays fertile, semé de villes et de villages ; et la région montagneuse, âpres et désolée, qui sert de refuge et d' abri à ces brigands qui vivent de pillage et sèment l' épouvante parmi les paisibles populations agricoles de la plaine. Ces Koungouses, qui vivent en tribus nomades dans ces montagnes de la Mandchourie, ne sont pas, comme on pourrait le croire, une peuplade spéciale, mais bien plutôt un ramassis de gens sans aveu de nationalités diverses. On y trouve en grand nombre des Russes déportés, qui se sont échappés des bagnes de Sibérie, des Mandchourie et même des Allemands. Nombreux et disciplinés, sous la direction d' un chef redouté, ils furent longtemps la terreur des voyageurs et des trafiquants chinois qu' ils attaquaient, dépouillaient et assassinaient, sans que la Chine, impuissante, s' opposât à leurs exactions sans cesse renouvelées. Cette impunité avait à tel point fait croître leur audace qu' ils en étaient venus à s' emparer de certains domaines chinois et à prélever de fortes contributions sur les capitales des provinces. La Russie, dès qu' elle eut commencé les travaux de son chemin de fer sur le territoire mandchourien, prit des mesures énergiques contre les Koungouses. Elle lança contre eux ses troupes sibériennes et leur infligea de sanglantes défaites. En outre, des postes de cosaques chargés de garder le chemin de fer transmandchourien furent échelonnés le long de la voie. Les Koungouses furent ainsi mis dans l' impossibilité d' attaquer les trains et de couper les lignes télégraphiques. A maintes reprises leurs tribus décimées durent se disperser et s' enfuir devant les charges irrésistibles des cavaliers sibériens. Récemment encore, à la station d' Oudzimi, le maître de cavalerie cosaque Aksenoff a mis en fuite avec soixante-dix cavaliers un parti d' une centaine de Koungouses. Mais les incursions de ces brigands sont plus rares qu'autrefois ; et, grâce à l' énergie du pouvoir militaire russe et à la vigilance des postes de cosaques, on peut prévoir l' époque où la Mandchourie sera définitivement débarrassée de ces bandits de grand chemin.

Le Petit Journal illustré du 3 avril 1904