Au combat du Yalou

L' héroïsme d' une musique russe

On sait avec quelle vaillance les troupes russes du général Zassoulitch résistèrent, sur le Yalou, à un ennemi cinq fois supérieur en nombre, soutenu par une très nombreuse artillerie. Or, parmi les épisodes dans lesquels, au cours de ces deux jours de combats, s' affirmèrent les qualités de courage et de ténacité du soldat russe, celui qui fait le sujet de notre gravure de première page n' est certes pas le moins glorieux. C' est avec cette éloquente simplicité qu' un officier du 11e régiment de tirailleurs sibériens - ce régiment héroïque qui perdit son colonel et son lieutenant-colonel, dix officiers et deux cents soldats, et n' eut pas moins de quatre cents blessés - a raconté cet épisode : " Au moment de l' attaque de Ka-Lien-Tsé, dit-il, notre musique se composait de trente et un hommes. Elle joua une marche militaire, puis chargea en jouant l' air de vive l' Empereur ! Elle recommença le morceau quand il fut fini.

" Je tombai."
Deux de mes hommes tombèrent à mon côté, mais la musique du régiment continua son morceau. Elle s' arrêta lorsqu'il ne resta plus que quinze exécutants valides.

" Alors les survivants, s' armant des fusils des morts, se ruèrent sur l' ennemi."

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Belle page d' héroïsme à inscrire dans l' histoire des musique militaires de tous les pays, à côté de tant de traits de vaillance et d' abnégation dus aux musiciens, aux tambour, aux clairons de notre glorieuse armée française... Est-il besoin de rappeler, en effet, la prise de Tarragone, de Saragosse, les batailles d' Eylau, de la Moskova, où les musiques des grenadiers et des régiments d' infanterie s' illustrèrent ; Wattignies, où mourut le petit tambours Strauh; Malakoff, Magenta, où les clairons des zouaves firent merveille... Et combien d' autre encore!...

Le Petit Journal illustré du 29 Mai 1904