L' espionnage en France

Arrestation d' un colonel anglais à Belle-Isle

Les faits d'espionnage se succèdent en ce moment, en France, d' une façon inquiétante. Après les affaires de Modane, de Toulon, de Cherbourg, voici celle de Belle-Isle.

Le plus souvent, le gouvernement, qui craint par-dessous tout " les affaires" qui pourraient troubler sa tranquillité ou menacer sa position, les étouffe. On arrête les espions et, sans bruit, on les reconduit à la frontière, c'est tout juste si on ne leur fait pas des excuses par-dessus le marché. Deux jours après, ils rentrent en France par un autre point. Dès le 9 Mars dernier, le Petit Journal, toujours admirablement renseigné, signalait la présence de gens suspects dans le périmètre fortifié de Lorient. Le service de surveillance se mit en campagne par ordre du préfet maritime. Un étranger, qui circulait depuis quelques jours dans le port, se sentant dépisté, tenta de donner le change en se retirant vers la côte finistérienne : il se rendit d' abord à Quiberon et de là à Belle-Isle, où la police, prévenue par dépêche, le surprit en train de relever les plans de la batterie du Gros-Rocher et l' arrêta. Cet espion est de nationalité anglaise. Amené à Lorient, il a déclaré se nommer Edwards Schmitt Gordon et être un colonel du Royal-Artillery anglais. C' est un récidiviste de l' espionnage, déjà pris, déjà relâché plusieurs fois. Des renseignements dignes de foi le montrent, en effet, comme un espion de carrière. Il n' en garde pas moins une superbe assurance et paraît convaincu qu' on n' osera pas le poursuivre. Il n' est pas Anglais pour rien. On a remarqué, non sans commenter cette coïncidence tout au moins bizarre, que, tandis que Gordon se faisait surprendre en flagrant délit d' espionnage, un grand yacht, le Lantana, battant pavillon de la flotte de réserve anglaise, qui se trouvait depuis deux jours dans le port du Palais, avait levé l' ancre et quitté les eaux de Belle-Isle.

Gageons que le gouvernement qui, par ses officieux, explique le séjour du colonel anglais sur le point fortifié de notre territoire, va le prier de continuer sa promenade... en lui faisant des excuses.

Le Petit Journal Illustré du 5 Juin 1904