Le monument de Waterloo

Élevé à la gloire des soldats français morts pour la Patrie

 

Quiconque a visité le dernier champ de bataille de l' épopée napoléonienne a pu s' étonner que, parmi tant de monuments élevés sur tous les points de cette plaine funèbre, aucun ne fût consacré au souvenir des héros tombés, le 18 juin 1815, pendant la sanglante journée de Waterloo, pour la gloire de la France. Les Prussiens, les Hanovriens, les Anglais, les Belges, alliés contre les Français, y ont leurs monuments commémoratifs; les Français, jusqu' ici, n' avaient rien : pas une pierre, pas une croix à la mémoire des soldats de la Vieille Garde, qui avaient conquis l' Europe aux accents de la Marseillaise, des cuirassiers de Ney et des grenadiers de Cambronne ! Et près d' un siècle s' est écoulé avant que l' hommage de la postérité fût enfin rendu au souvenir de ces braves gens. Dix jours après la bataille où l' aigle napoléonien s' abattit mortellement blessé, le voeu avait été exprimé, à la Chambre des députés qu' un monument consacrât, à Waterloo, l' héroïsme de nos soldats ; mais les événements politiques, la chute de l' empereur, le retour des Bourbons, les affres de la Terreur Blanche avaient empêché qu' il fût donné suite à ce voeu populaire. Les années passèrent ; et, tandis que nos voisins commémoraient les faits d' armes de leurs soldats, les nôtres, les glorieux vaincus tombés pour la Patrie, restaient oubliés. Il y a quelques années, enfin, sur l' initiative, de la Sabretache, société d' artiste, de collectionneurs et d' écrivains militaires, que préside avec tant de dévouement et d' initiative le grand peintre Édouard Detaille, une souscription fut ouverte et le monument de Waterloo fut confié au célèbre statuaire Gérôme, membre de l' institut, aujourd' hui décédé. On n' a pas oublié cette oeuvre impressionnante, dont la maquette fut exposée au Salon de 1902 et dont nous donnons aujourd'hui la reproduction à notre première page. Au faite d' un roc, l' aile brisée. l' aigle impérial, superbe dans son agonie, lutte encore contre la mort, les serres crispées sur le glorieux drapeau de Wagram que Jaurès et le professeur Hervé voudraient voir " planté dans le fumier " . Ce beau monument est le symbole émouvant de la résistance acharnée de l' armée française en cette sanglante journée ; c' est une puissante interprétation artistique des vers célèbres de l' ode héroïque de Victor Hugo :

Oui, l' aigle, un soir, planait aux voûtes éternelles,
Lorsqu' un grand coup de vent lui cassa les deux ailes...

Le 18 Juin, quatre-vingt-neuvième anniversaire de la bataille de Waterloo, l' aigle français se dressera sur son rocher, à l' emplacement même où succomba le dernier carré de la garde impériale. La France n' oubliera pas, quoi qu' on en dise, les héros morts à son service.

Le Petit Journal illustré du 19 Juin 1904