MASSENA A WAGRAM

6 Juillet 1809

La campagne de 1809 est, au point de vue de la tactique, l' une des plus brillantes de l' épopée napoléonienne. Après Essling, où 90,000 Autrichiens avaient dû céder devant 32,000 Français et où, de part et d' autre, les pertes avaient été considérables, une trêve de trois mois intervint qui permit à l' empereur de faire reposer son armée. Mais, tandis que son adversaire, l' archiduc Charles, négligeait, pendant ce temps, d' appeler des renforts et de rendre inabordable la rive droite du Danube, Napoléon, au contraire, mettait à profit ces quatre-vingt-dix jours de répit pour rallier ses lieutenants, le prince Eugène de Beauharnais, Macdonald et Marmont. Il se trouva ainsi, au début du mois de Juillet 1809, à la tête de 167,000 hommes et de 550 pièces de canon, contre les 140,000 hommes et les 400 canons de l' adversaire. La concentration eut lieu le 5 Juillet, dans l' île Lobau. La trêve finissant dans la nuit du 5 au 6, à minuit, les opérations commencèrent aussitôt. Sur trois ponts, 10,000 hommes passèrent en quelques heures dans la plaine de Wagram. A midi, toute l' armée était en ligne. Ce fut une journée de géants. Douze heures durant, on se battit de part et d' autre avec un incroyable acharnement. Le soir, il y avait sur le champ de bataille 50,000 hommes hors de combat.

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On se bat! on se bat! Macdonald se dépêche, et Masséna, blessé, passe dans sa calèche. Masséna, en effet, ainsi que le rappellent ces deux vers de l' Aiglon, le drame célèbre de M. Edmond Rostand, Masséna, quoique blessé, malade, en proie à d' atroces souffrances, déploya, durant toute l' action, un courage et une activité incroyables. Comme le montre la superbe composition que nous reproduisons à notre huitième page, il parcourut tout le jour, dans sa calèche, le front de l' aile gauche, dont il avait le commandement, encourageant ses troupes et renouvelant les exploits qui, trois mois auparavant, lui avaient valu le titre glorieux de prince d' Essling.

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Le capitaine Coignet, qui prit part à la bataille de Wagram; a consigné ses souvenirs de la journée dans ses pittoresques " Cahiers" : " C' était drôle, dit-il, de nous voir faire face à Vienne et les Autrichiens tourner le dos à leur capitale. On peut dire, à leur louange, qu' ils se battirent en déterminés. On vint dire à l' empereur qu' il fallait remplacer la grande batterie de sa garde, que les canonniers étaient détruits : " Comment ! dit-il, si je faisais relever l' artillerie de ma garde, l' ennemi s' en apercevrait et redoublerait d' efforts pour percer mon centre. De suite, des grenadiers de bonne volonté pour servir les pièces ! " "Vingt hommes par compagnie partirent aussitôt...Tous voulaient y aller. Les batterie de cinquante pièces. Sitôt arrivés à leur poste, les coups de canon se firent entendre. L' empereur prit sa prise de tabac et se promena devant nous. Pendant ce temps, le maréchal Davout s' emparait des hauteurs et rabattait l' ennemi sur nous, en filant sur le grand plateau pour lui couper la route d' Olmutz. L' empereur, voyant le maréchal lui faire face, n' hésita pas à faire partir tous les cuirassiers en une seule masse pour enfoncer leur centre. Cette masse s' ébranle, passe devant nous ; la terre tremblait sous nos pieds. Ils ramenèrent cinquante pièces de canon toutes attelées et des prisonniers.... Le prince de Beauharnais va au galop vers l' empereur lui apprendre que la victoire est certaine. Il embrasse son fils. Le soir quatre grenadiers rapportaient le colonel qui commandait la batterie de cinquante pièces où l' empereur avait envoyé ses grognards. Ce brave était blessé depuis onze heures. On l' avait fait porter en arrière de sa batterie : " Non , dit-il, reportez-moi à mon poste ; c' est ma place. " Et, sur son séant, il commandait. La garde fut formée en carré et l' empereur coucha au milieu ; il fit ramasser tous les blessés et les fit conduire à vienne. Le lendemain, nous trouvions des trente boulet à la suite dans le même endroit. On ne peut se faire une idée de cette bataille... Les Autrichiens furent obligés de venir demander la paix sur les hauteurs d' Olmutz, où l' empereur avait fait dresser sa belle tente..."

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A l' anniversaire de cette grande victoire française, il nous a paru opportun d' en redire les phrases glorieuses, de donner les souvenirs pittoresques d' un humble acteur de cette fameuse journée et de rappeler la conduite héroïque de celui auquel l' Histoire a gardé le nom si beau d' " Enfant chéri de la Victoire ". Là, sur ce sol autrichien, beaucoup de sang français fut répandu, beaucoup de sang qui fit lever pour la France beaucoup de gloire. Et à présent, comme le dit encore l' Aiglon :

Il ne doit plus rester, plaine, dans tes rafales,

Que les bruits de la gloire et les voix triomphales.

Lacarre

Le Petit Journal illustré du 10 Juillet 1904