Sur la côte du Liao-Toung

Les Japonais recueillent les cadavres des marins russes rejetés par la mer

L' histoire des guerres navales présente peu d' exemples de luttes plus acharnées et plus meurtrières que celles qui se sont déroulées récemment au large de Port-Arthur, dans le golfe du Liao-Toung.

A des forces très supérieures, l' escadre russe de Port-Arthur a opposé une résistance admirable. L' amiral Witheft, qui la commandait, ne se faisait pas d' illusion sur les résultats de la bataille :

-- Mes Amis, avait-il dit à ses matelots, voici notre dernier combat. Soyez braves !

Ils furent plus que braves. Ils furent héroïques !

Dès le début de l' engagement, l' amiral fut broyé par un obus. Son corps disparut par dessus bord. On ne releva qu' une de ses jambes. Son vaisseau, le Caesarevitch (qu' un dessin de notre précédent numéro a représenté au milieu de la bataille), évoluait dans un ouragan de fer. Quatre cuirassés et deux croiseurs ennemis dirigeaient sur lui un feu formidable. Les obus, lancés de très près, pleuvaient de toutes parts sur le navire et le vacarme de la canonnade était assourdissant. Il y eut sur le pont d' épouvantables scènes de carnage et d' horreur.

La plupart des autres navires de l' escadre eurent à supporter de non moins terribles attaques. Le soir venu, les vaisseaux russes purent enfin forcer le passage à travers la flotte japonaise, mais au prix de quels sacrifices !

Un grand nombre d' officiers et de matelots ont disparu dans le combat, les uns jetés à la mer par la violence des explosions, les autres déchiquetés par la puissance des projectiles.

Sur le Caesarevitch, pas un officier n' était indemne, et, pendant le trajet accompli par le cuirassé se réfugiant à Kiao-Cheou, on immergea des têtes, des bras et des jambes, seuls restes qu' on put retrouver.

Les jours qui suivirent la sanglante bataille navale, la mer ne cessa de rejeter sur les rivages du Liao-Toung des cadavres de marins et d' officiers. Et les postes japonais qui occupent la côte relevèrent ces épaves humaines, afin de leur donner une sépulture.

Le Petit Journal illustré du 4 Septembre 1904