Les porteurs de mauvaises nouvelles

Tableau de Lecomte de Nouy (Musée du Luxembourg)

Outre le grand intérêt artistique qui ressort de l' œuvre si puissante et si belle dont nous donnons une fidèle reproduction à notre huitième page, il semble qu' à ce tableau magistral, où se trouve si habilement reconstituée une page sanglante de la vie antique, se rattache en même temps un intérêt d' actualité rétrospective.

Voilà comment, au temps lointain des Pharaons, arrivaient les nouvelles. Des hommes, des marcheurs exercés, couraient nuit et jour, par les monts et les plaines, jusqu'à la ville où trônait le despote. La nouvelle était-elle bonne ? Le maître couvrait d' or le messager. Était-elle mauvaise, au contraire ? S' agissait-il de la défaite de ses armées, de la perte de ses flottes, du massacre et du pillage de ses caravanes ? Le tyran, poussé par un aveugle instinct de férocité, déversait sa rage sur les malheureux qui la lui apportaient.

Combien de fois, dans ces temps barbares, d' innocents messagers ont-ils payé de la vie les mauvaises nouvelles qu' ils étaient chargés de transmettre à quelque monarque impatient ?...

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Il y a un peu plus d' un siècle, on en était presque encore, en ce qui concernait la transmission des nouvelles, aux procédés primitifs des Pharaons.

L' invention du télégraphe aérien de Chappe fut le premier pas vers les progrès considérables accomplis de nos jours. Puis vinrent successivement le télégraphe électrique, le téléphone et, enfin, la télégraphie sans fils, cette merveilleuse découverte française -- il faut le dire bien haut.

Aujourd'hui, grâce à ces procédés rapides de transmission, une nouvelle met à peine trois heures pour traverser le monde entier.

Aucun endroit du globe ne peut être, aujourd'hui, isolé, et Port-Arthur, enserré de tous côtés par les forces japonaises, correspond cependant avec les escadres russes au moyen de la télégraphie sans fils.

Quel contraste entre les messagers des lointains Pharaons et même entre la poste de nos pères et cette stupéfiante rapidité des communications actuelles !

Le Petit Journal illustré du 4 Septembre 1904