LES DERNIERS PEAUX-ROUGES
Mort de Joseph, le grand chef
des " Nez-Percés "
Thomas Grimm affirmait l'autre jour, dans le Petit
Journal, que la race des Apaches, cette race combative dont les exploits,
contés par Gustave Aymard et Gabriel Ferry, ont passionné notre
enfance, avait presque entièrement disparu des prairies du Nouveau-Mexique
et de l'Arizona.
A la vérité, c' est là le sort de toutes les tribus peaux-rouges. Les unes ont abandonné leurs moeurs guerrières pour se livrer à l'agriculture ou à la fabrication de poteries grossières et de tapis de lianes. Tels les Yakis, les Pimas, les Moquis et les Papagos, qui vivent paisiblement et s'éteignent peu à peu sous l'influence des whiskys et des brandys de qualité inférieure, dont la civilisation américaine leur a révélé les charmes.
Les autres, celles qui, ayant gardé les moeurs ancestrales, n'ont pas laissé pousser l'herbe dans le « sentier de la guerre », n'existeront plus bientôt qu'à l'état de souvenir. Les rifles américains en ont fait, depuis trois quarts de siècle, une telle hécatombe que c'est miracle qu'il en demeure encore quelques échantillons.
L'un des grands chefs qui dirigèrent les dernières tentatives de résistance contre l'envahissement de la race anglo-saxonne vient de mourir. C'est l'illustre Cacique Joseph, la gloire de la fameuse tribu dès Nez-Percés. Il avait soixante-dix ans et sa carrière fut si féconde en lutes, sa renommée si répandue à travers le Far-West que les Américains, ses ennemis, l'avaient surnommé le « Napoléon des Peaux-Rouges ».
Les généraux des États-Unis connaissaient, par expérience, son intrépidité. Longtemps, il leur opposa, dans l'Orégon, une résistance farouche. Le général Miles parvint, enfin, à l'écraser à Yellowstone, après un combat qui ne dura pas moins de cinq jours et qui fut très meurtrier pour les Américains.
Ce grand guerrier eut la douleur d'assister, avant de mourir, à l'anéantissement presque complet de sa race. La mauvaise fortune des batailles l'épargna et il a fini prosaïquement dans le « wigwam » de sa famille.
***
Le « Napoléon des Peaux-Rouges » fut un grand scalpeur devant
l'Éternel. On ne comptait pas le nombre d'ennemis qu'il avait, de sa
main, dépouillés de leur chevelure. Il lui advint même,
à ce propos, une aventure qu'on a omis de rappeler et que je veux vous
raconter ici.
En 1895, après la pacification des Nez-Percés, une nuée de pasteurs protestants s'abattit sur les prairies de l'Orégon, dans le but d'évangéliser la farouche tribu. Or, celui qui vint au village où commandait Joseph se trouvait être chauve, mais chauve comme un caillou du Rhin. Aussi, pour éviter les rhumes de cerveau, avait-il mis dans sa valise une demi-douzaine de perruques abondamment fournies.
Joseph, vaincu, n'avait pas abdiqué tout désir de vengeance. La vue de cet ennemi qui venait l'inviter à abandonner la religion de ses ancêtres lui rendit toute sa fureur. Ayant fait attacher le pasteur au poteau du supplice, il s'approcha de lui, tandis que ses guerriers exécutaient les danses les plus variées de leur répertoire, et il se mit en devoir de le scalper le plus proprement du monde.
Mais à peine a-t-il saisi le toupet du pasteur, avant même qu'il ait esquissé le geste accoutumé de la main qui tient le couteau... la chevelure détachée s'enlève d'elle-même et le crâne du patient apparaît, lisse, brillant, marmoréen, sans une goutte de sang. Joseph, interloqué, croyant voir dans ce fait un miracle du Grand Esprit, s'enfuit, entraînant après lui la sarabande de ses guerriers, mais non sans avoir, auparavant, tranché de son couteau les liens qui retenaient captif le Révérend.
Celui-ci, une fois ses ennemis disparus, s'empresse de courir a sa valise et de coiffer son chef d'une autre perruque ; puis il se cache, attendant le jour pour fuir ce village inhospitalier.
Mais, le lendemain matin, aussitôt
qu'il sort de sa cachette, il est rencontré par Joseph, qui pousse, en
le voyant, un grand cri de surprise. O prodige ! les cheveux ont repoussé
dans la nuit ! Le cacique, cette fois, n'en peut douter c'est bien la preuve
d'une intervention divine ! Il appelle à lui toute sa tribu et chacun
se prosterne devant le blanc, qui désormais leur est sacré.
Depuis cette époque, le « Napoléon des Peaux-Rouges »
renonça à toutes représailles contre ses vainqueurs et
les Révérends purent librement répandre parmi les Nez-Percés
les doctrines de l'Évangile.
Le Petit Journal illustré du 9 Octobre 1904