A PORT ARTHUR

La générale Stoessel blessée par un éclat d'obus en soignant des victimes du siège

Nos lecteurs n'ont pas oublié le beau trait d'intrépidité accompli dernièrement à Vladivostok par la femme d'un colonel qui sauva, au péril de ses jours, le drapeau du régiment que commandait son mari le Supplément illustré du Petit Journal consacra, il y a quelques semaines, une de ses gravures à ce fait héroïque. Voici que dans Port-Arthur, la femme du général Stoessel donne a son tour un admirable exemple de courage et d'abnégation.

La digne compagne du vaillant général commandant en chef de la place assiégée, dont la résistance acharnée fait en ce moment l'admiration du monde entier, avait refusé de quitter Port-Arthur lorsque le général des forces japonaises offrit au défenseur de la ville assiégiée un sauf-conduit pour les femmes et les enfants.

Profondément attachée au sort de son mari, Mme Soetssel pensa qu'une femme de coeur pouvait, en ces circonstances tragiques, exercer une action noble et utile, en demeurant aux côtés de son mari, au milieu des valeureux soldats qui défendent la ville.

Dès lors, elle se consacra tout entière à son oeuvre de charité; et c'est dans une rue de la ville, au milieu des blessés auxquels elle donnait ses soins dévoués, que Mme Stoessel vient d'être atteinte à l'épaule par un éclat d'obus.

***

Une fois de plus apparaît, héroïque et sublime, l'oeuvre de la femme en temps de guerre. L'histoire de tous les peuples est pleine de ces traits admirables. La femme, c'est la patience dans la misère, le dévouement dans la souffrance, le courage dans la vie, le stoïcisme devant la mort.

Rappelons-nous, dans nos propres annales, la part prise par les femmes dans toutes les guerres où se trouvait en jeu l'amour de la Patrie et du foyer familial. Car si Jeanne d'Arc est la plus illustre, elle n'est pas notre seule héroïne nationale. Il n'est pas une de nos vieilles cités de France qui ne puisse, au cours des siècles passés, exalter le souvenir de quelque fait glorieux au quel furent mêlées les femmes, tour à tour combattantes ou consolatrices.

Ne sont-ce pas les femmes de Toulouse qui vainquirent Simon de Montfort? N'est-ce pas Jeanne Hachette qui sauva Beauvais? Et Montelimar ne fut-il pas préservé de l'invasion par, Margot Delaye à laquelle la ville éleva jadis une statue?


A Saint-Quentin, sur l'une des faces du monument commémoratif du siège de 1557 le sculpteur a consacré la mémoire des femmes qui relevaient les blessés sur les remparts et les soignaient avec un admirable dévouement. Voici les guerres de religion, voici la Fronde, époques où s'exalte l'héroïsme féminin; et l' histoire enregistre la conduite vaillante et dévouée des dames de Marseille, de Metz, de La Rochelle, de Sancerre, de Livron, de Saint-Lô; de Catherine de Balzac et des dames d'Aubingy; des dames de Cahors, de Vitré, d'Autun, de Falaise, et de maintes autres villes de France ou les femmes furent l'âme de la résistance.

Puis voici les guerres de la Révolution et de l'Empire, qui firent se lever tant de femmes-soldats et les campagnes du dix-neuvième siècle où l'on vit tant de fois, sur les champs de bataille, le petit chapeau noir des cantinières mêlé aux cornettes blanches des soeurs de charité.

Faut-il évoquer l'admirable action féminine en 1870? Paris se couvrant ambulances, où toutes : la femme du monde, la bourgeoise, l'actrice, l'ouvrière, l'étrangère, rivalisaient de zèle et de bonté?...

On peut dire de la femme française qu'à toutes les époques de notre histoire, elle fut à la hauteur de sa tâche, qui est toute de mansuétude et de pitié. Et n'en est-il pas de même chez les autres peuples? L'admirable conduite des femmes boers pendant l'abominable guerre que suscitèrent les Anglais n'en est-elle pas une preuve éclatante, une preuve que viennent confirmer encore les traits d'héroïsme des femmes russes à Port-Arthur et à Vladivostok?

La femme, où qu'elle soit, est un être admirable d'abnégation et de courage. Et Lamartine a dit justement, en parlant des miracles de patriotisme accomplis par les femmes: « Quand tout est désespéré dans une cause nationale, il ne faut pas désespérer encore, s'il reste un foyer de résistance dans un coeur de femme.

Le Petit Journal illustré du 16 Octobre 1904