LA CATASTROPHE D'AIN-SEFRA
Les soldats de la Légion organisant le sauvetage
L'orage épouvantable qui a récemment éclaté
sur la région d'Aïn-Sefra a eu les plus terribles conséquences.
Une trombe d'eau s'est déchaînée sur la ville et les environs;
et la pluie est tombée avec une telle abondance que l'oued Sefra, qui
en temps ordinaire n'est qu'un modeste ruisseau, a grossi tout à coup,
et, sortant de son lit, s'est rué sur le village en emportant un grand
nombre de maisons.
L'inondation s'est produite si soudainement que les habitants n'ont pu la prévoir
et que, la plupart d'entre eux n'ont pas eu le temps de prendre la fuite. Quatorze
indigènes et douze Européens ont été victimes de
la catastrophe. Sur ce nombre de vingt-six morts, on compte six petits enfants
qui se trouvaient dans l'école au moment où les eaux l'ont envahie
et que le courant a entraînés avant qu'on ait pu les secourir.
Parmi les disparus se trouve aussi une femme écrivain d'un réel
talent, Mme Isabelle Eberhardt, qui comptait parmi les collaboratrices de notre
Supplément illustré. Séduite par les charmes de
la vie libre, Mme Eberhardt avait, depuis de nombreuses années, élu
l'Algérie pour sa patrie. Vêtue du burnous et coiffée du
turban, parlant fort bien la langue arabe, elle se mêlait aux tribus,
écrivant des études de murs, des nouvelles sur la vie arabe,
avec une observation très juste et un style très pittoresque.
Récemment encore, elle nous avait adressé d'Aïn-Sefra, de
cet endroit même où elle devait trouver la mort, la nouvelle si
curieuse que nous publions aujourd'hui même, comme un pieux hommage à
l'écrivain qui n'est plus.
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Si les victimes de cette terrible inondation n'ont pas été plus
nombreuses encore, c'est grâce au dévouement des soldats de la
garnison d'Aïn-Sefra, qui, sous la conduite de leurs officiers, ont combattu
le fléau avec un courage et une activité dignes des plus grands
éloges. L'un d'eux a péri en portant secours aux habitants.
A Aïn-Sefra, comme il y a quatre mois à Mamers, où se produisit
une catastrophe du même genre, nos vaillants troupiers ont fait leur devoir
avec la plus noble abnégation.
Il est bon de le rappeler et de noter ces témoignages d'héroïsme,
ces manifestations de l'esprit de sacrifice, qui règne parmi nos soldats,
et de montrer ainsi, par des faits, aux internationalistes et aux sans-patrie,
de quelle façon bienfaisante et fraternelle s'exerce dans la paix l'action
de notre armée.
Le Petit Journal illustré du 6 Novembre 1904