LES SOUVERAINS PORTUGAIS A CHERBOURG


L'amiral Touchard offrant des roses de France à S. M. la Reine Amélie


Le roi Dom Carlos de Portugal et la reine Amélie n'ont fait que passer sur le territoire français pour se rendre en Angleterre. D'Hendaye, un train spécial les a conduits à Cherbourg, où ils se sont embarqués sur le yacht royal Victoria-and-Albert, escorté d'une division navale anglaise.
Mais, si peu de temps qu'ils soient restés dans notre grand port militaire, ils y ont reçu cependant un accueil enthousiaste dont ils ont dû garder le meilleur souvenir.
A l'arsenal, où les souverains ont quitté le chemin de fer, une tente superbe, ornée des pavillons portugais et français et toute fleurie d'orchidées et de chrysanthèmes, avait été dressée pour les recevoir. Le Musée d'artillerie avait fourni, pour la décorer, ses plus belles panoplies.
Au milieu d'un brillant état-major, où se mêlaient les uniformes des deux marines anglaise et française, le vice-amiral Touchard, préfet maritime de Cherbourg, s'avança à la rencontre des souverains. Il salua d'abord le roi Dom Carlos ; puis, s'adressant à la reine Amélie, il lui offrit une gerbe de roses
" - Madame, lui dit-il, il est deux villes maritimes en Europe où les officiers de la marine française sont honorés d'un accueil particulièrement gracieux, cordial, oserai-je dire, d'autant plus précieux qu'il vient de plus haut. Que Votre Majesté me permette d'associer le nom de la princesse Valdemar de Danemark à celui de la reine Amélie de Portugal dans l'hommage de profonde et respectueuse gratitude que je dépose à ses pieds.
Votre majesté a daigné m' honorer, elle aussi, lors de mon passage à Lisbonne, d'un témoignage insigne de sa bienveillance. Je la prie de vouloir bien ici m' accorder aujourd'hui un nouveau gage, en acceptant ce bouquet bien indigne d'une reine, mais qui aura cependant à ses yeux le mérite d' être composé de roses de France."
On sait que la reine Amélie, de même que la princesse Valdemar de Danemark, est Française de race.
Elle fut, en effet, la princesse Amélie d'Orléans ayant d'être, à vingt ans, reine du Portugal.
Elle est l' idole des Portugais, qui disent, en pariant d'elle : « C'est le plus beau cadeau que la France pouvait nous faire. » Mais elle a gardé, vivace, l'amour de son pays d'origine.
Aussi le présent de l'amiral Touchard lui fut-il précieux. Elle prit la gerbe de Fleurs et répondit, non sans quelque émotion, que ces roses de France garderaient longtemps, pour elle, leur parfum et le charme de leur symbole.

VARIÉTÉ


La Fête des jeunes et des vieilles filles


Depuis les derniers jours de Novembre jusqu'à Noël se succèdent, à peine interrompues, dans maintes villes et campagnes de France, de curieuses réjouissances populaires, intimes ou solennelles et qui montrent bien que les coutumes d'antan ne sont pas toutes mortes en notre pays.
Il y en a pour tout le monde : pour les garçons, pour les filles et aussi pour les petits enfants. C'est le gai moment de l'année, celui où s'échangent les souhaits et les petits cadeaux destinés à entretenir l'amitié; c'est l'heure des joyeux festins à la table familiale et de bonnes causeries au coin de l'âtre.
La semaine dernière, je vous parlais ici même du grand saint Martin.
Laissez-moi vous entretenir aujourd'hui d'une autre sainte non moins populaire, la bienheureuse sainte Catherine.
Sa légende ?... Elle est aussi simple que poétique.Fille de sang royal, Catherine eut, dès sa plus tendre enfance, la nuit, dit-on, qui suivit son baptême, un songe où la Vierge lui apparut tenant l'enfant Jésus dans ses bras. Et Jésus lui dit, d'une voix plus harmonieuse.. que le chant des archanges, qu'elle serait belle entre les belles et qu'il voulait la choisir pour son épouse. La tradition assure même qu'eu s'éveillant l'enfant trouva à son doigt un anneau que son divin fiancé y avait glissé.
Catherine demeura fidèle au voeu de l'Enfant Dieu. Elle refusa tous les prétendants qu'attiraient sa haute naissance et sa merveilleuse beauté, et, demeurée chaste toute sa vie, elle devint ainsi la patronne des jeunes filles.

***

De par une tradition malicieuse, elle est surtout, aujourd'hui, la patronne des vieilles filles. Et, à ce propos, vous plaît-il de connaître l'origine de l'expression populaire : « Coiffer sainte Catherine » ?
Deux versions différentes prétendent l'expliquer. Les voici toutes deux. Nos lectrices choisiront celle qui leur plaira le mieux.
Jadis, dit l'une, en certaines contrées de France, le jour où une jeune fille, se mariait, elle devait confier à la meilleure, à la plus fidèle de ses amies le soin d'arranger sa coiffure nuptiale.
Une croyance voulait, en effet, que cette
fonction éphémère portât bonheur à celle qui en était chargée et lui fit trouver sans tarder un époux. Cette croyance, d'ailleurs, n'a pas encore complètement disparu, et l'on voit encore aujourd'hui des jeunes filles qui, sous l'empire de cette innocente superstition, ne manquent pas d'assister à la toilette nuptiale de leurs amies et s'ingénient surtout à attacher la première épingle au bonnet de la fiancée.
Or, sainte Catherine étant demeurée célibataire, comme nous l'avons vu plus haut, cet usage ne put jamais être observé à son égard. Il en résulte que toute fille qui reste pour coiffer sainte Catherine n'a aucune chance de jamais trouver un époux...
L'autre version est plus simple et plus vraisemblable aussi.
Elle se rapporte à la coutume, de tous temps respectée par les jeunes filles, de couronner de fleurs l'image de leur patronne, coutume avec laquelle toute jouvencelle qui se mariait devait rompre inéluctablement.
De ce fait, le soin de coiffer sainte Catherine restait confié à celles-là seules qui ne se mariaient pas.
Il advint que certaines de ces fidèles servantes de sainte Catherine demeurèrent chargées de la couronner de fleurs plus longtemps qu'elles-mêmes ne l'eussent désiré.
Et c'est ainsi que la malignité populaire donna à l'expression « coiffer sainte Catherine » le sens railleur que nous lui connaissons.
Sainte Catherine, en dépit même de cette tradition goguenarde, n'est pas uniquement, quoi qu'on en pense, la patronne des vieilles filles. Elle est surtout celle des jeunes.
Le 25 Novembre, il est maintes et maintes familles de France au sein desquelles on célébre la jeunesse, la grâce et la beauté.
Il est même certaines contrées où la fête prend un caractère de réjouissance publique. Je sais notamment quelques vielles villes de notre Flandre française où le jour de SainteCatherine fait revivre une curieuse coutume, qui semble un lointain souvenir de l'occupation espagnole.
Dès le soir, la ville appartient aux chanteurs et aux musiciens.
Des jeunes gens se réunissent et vont donner des sérénades aux demoiselles, aux sueurs et aux fiancées de leurs amis. Rien de plus pittoresque que ces groupes qui parcourent les rues avec des lanternes multicolores.
Les chants, surtout, sont d'un merveilleux effet. Je me rappelle avoir entendu un de ces choeurs dans 1e silence de la nuit. C'était sur une délicieuse poésie de Musses, le Lever. Un soliste à la voix vibrante, accompagné de bouches fermées qui faisaient comme un frémissement, disait cette strophe


Mets ton écharpe blonde
Sur ton épaule ronde,
Sur ton corsage d'or ;
Et je vais, ma charmante,
T'emporter dans ta mante
Comme un enfant qui dort.


Et, ma parole ! entraîné par l'imagination, je m'attendais à voir paraître au balcon la senorita drapée dans sa mante; je pensais voir l'échelle de soie se déployer... Hélas! la senorita ne parut point !Les chanteurs s'en allèrent plus loin répéter leur chanson, et je m'éloignai, songeant:

Il est des filles à Grenade,
Il en est à Séville aussi
Qui, pour la moindre sérénade,
A l'amour demandent merci...

Mais il n'en est pas de même en nos vieilles cités flamandes.
Et c' est justice qu'il en soit ainsi, puisque ce jour de Sainte-Catherine est la fête de l' innocence et de la chasteté.

Lacarre.

Le Petit Journal illustré du 27 Novembre 1904