EN MANDCHOURIE
Infirmière de
la Croix-Rouge russe prisonnières des Khoungouses livrée par eux
aux Japonais
Les femmes admirables qui, depuis tantôt dix mois,
se dévouent, en Mandchourie, pour la cause de l'humanité, n'ont
pas seulement à se garder de dangers inhérents à la guerre
elle-même. D'autres périls les menacent sans cesse, périls
qui résultent de l'état d'anarchie où se trouve ce pays.
Là-bas, comme les chacals suivent les lions, les Khoungouses, ces brigands
mandchouriens, ces pillards à demi sauvages, suivent les armées
russe et japonaise. Et rien n'est respectable pour ces bandits. Ils envahissent
les ambulances, achèvent les blessés et font prisonnières
les infirmières.
C'est ainsi que des Khoungouses s'étant emparés, a Moukden, d'une
infirmière de la Croix-Rouge russe, l'emmenèrent, après
lui avoir imposé des fatigues et des souffrances sans nombre, jusqu'à
Niou-Chouang, où ils la livrèrent à un parti japonais.
***
Ces femmes qui, volontairement, viennent s'enrôler sous le drapeau de
la Croix-Rouge et se soumettent à l'existence la plus rude et la plus
périlleuse qui soit, sont, en général, issues des meilleures
familles russes. La plupart sont filles, soeurs ou femmes d'officiers.
Ne signalait-on pas, ces jours derniers encore, le bel exemple de dévouement
donné par l'une d'entre elles, une infirmière de la Croix-Rouge,
fille d'un colonel de l'armée de Kouropatkine?
Cette jeune fille, bravant mille dangers, se rendit aux avant-postes de l'armée
japonaise du général Oku et demanda à être conduite
à Matsugama, afin de pouvoir soigner, à l'hôpital de cette
ville, un officier russe blessé qu'elle aimait.
Depuis de longues années, les femmes russes sont entraînées
à l'école du dévouement. Dès l'année 1854,
la grande-duchesse Hélène de Russie créa, sous le nom de
<< Dames de l'Exaltation de la Croix >>, un corps d'hospitalières
qu'elle envoya à Sébastopol.
En 1888, l'empereur Alexandre III a fondé une école de femmes
aides-chirurgiens, qui forme une annexe de lazaret des dames de la Croix-Rouge
à Saint-Pétersbourg.
Les jeunes filles qui y sont admises suivent des cours spéciaux pendant
quatre ans; elles reçoivent un diplôme qui leur confère
le droit d'exercer la médecine dans tout l'empire.
On voit que le principe des femmes-médecins, qui s'acclimate si difficilement
en France, est officiellement reconnu en Russie.
L'organisation de la Croix-Rouge russe - on l'a signalé maintes fois
depuis le début de la guerre - est des plus remarquables.
Les plus humbles infirmiers sont de véritables aides-médecins,
exercés et admirablement disciplinés. Enfin, parmi les religieuses
et parmi les infirmières laïques, il règne un merveilleux
esprit de sacrifice et d'abnégation.
L'exemple, d'ailleurs, est venu
de haut. Nous avons montré naguère, ici-même, l'impératrice,
les grandes-duchesses et les dames de la cour de Saint-Pétersbourg réunies
dans des ouvroirs et travaillant pour les blessés.
D'autre part, la grande-duchesse Marie Pavlovna a créé un train-hôpital
qui porte son nom et qui, quinze fois déjà, a accompli le voyage
de Moukden à Moscou, ramenant en Russie les blessés et les malades.
A chaque voyage, ce train-hôpital, qui est un modèle du genre pour
l'ordre et la propreté, rapatrie ainsi de 500 à 600 victimes de
la guerre.
Parmi ces victimes, il en est souvent qui ont été blessées
alors qu'elles poursuivaient leur oeuvre de dévouement au milieu des
champs de bataille.
Au bombardement de Liao-Yang, les soeurs volontaires du zemtsvo de Kharkov demeurèrent
ainsi quatre jours sous le feu de l'ennemi.
Les schrapnels tombaient de toutes parts autour d elles. Et, pourtant, elles
allaient, portant aux blessés leurs soins et leurs consolations.
Combien de ces filles sublimes sont tombées, martyres de la pitié
et de la foi !
Le Petit Journal illustré du 4 Décembre 1904