DANS LA MANCHE

Rixes entre pêcheurs français et anglais


Nos lecteurs - et en particulier ceux qui habitent les côtes de la Manche - n'ont assurément pas oublié l'acte d'abominable inhumanité commis il y a quelques années par un garde-pêche anglais contre un pêcheur français de Boulogne.
C'était, s'il m'en souvient bien, au mois d'octobre 1899. Un patron boulonnais, séduit par l'espoir d'une pêche fructueuse, s'était trop approché des côtes d'Angleterre et avait jeté ses filets dans la zone de trois milles constituant la frontière maritime où la pêche est réservée aux riverains.
Surpris par un garde-pêche anglais, le pécheur prit la fuite et manoeuvra si bien qu'il parvint à gagner de vitesse le vapeur qui lui donnait la chasse.
Mais l'Anglais, furieux de ne pouvoir le joindre, fit tiret sur lui et tua un des matelots français.
Il paraît que les lois maritimes en vigueur autorisent de pareils actes de barbarie. Le
commandant du garde-pêche anglais était dans son droit en tirant sur le pêcheur désarmé qui fuyait devant lui. Le droit, chez les Anglais surtout, n'est pas toujours d'accord avec l'humanité.
Or, un nouveau conflit vient de s'élever entre pêcheurs français et anglais; et il y apparaît que nos voisins, si jaloux de leurs droits, se montrent infiniment moins respectueux de ceux d'autrui.
Des harenguiers français de Berck, pêchant sur le banc du Vergoyer, à cinq ou six milles de Boulogne, ont été par deux fois, ces jours derniers, victimes de déprédations commises par des pêcheurs anglais.
Le patron du bateau Sainte-Jeanne-d'Arc, constata, en relevant ses filets de harengs, que vingt d'entre eux avaient été coupés et que plusieurs bouées avaient disparu. Ayant appris que ces méfaits étaient l'œuvre de l'équipage d'un chalutier anglais, les marins de la Sainte-Jeanne-d'Arc allèrent à sa rencontre et l'accostèrent bravement comme faisaient jadis les vaillants corsaires, leurs ancêtres. Déjà, les haches se levaient sur le plat-bord de l'Anglais... Mais celui-ci n'attendit pas l'adversaire justement courroucé ; et il s'enfuit précipitamment.
La nuit suivante, huit filets, appartenant à un autre pêcheur berckois, ont été de nouveau lacérés par les hommes d'équipage d'un chalutier anglais.
Ces déprédations réitérées ont indigné les habitants des côtes de la Manche, et des conflits regrettables sont à craindre si nos autorités maritimes ne se décident pas a faire respecter les biens et les droits de nos pêcheurs contre la malveillance des maraudeurs anglais.

Le Petit Journal illustré du 4 Décembre 1904