FRÉDÉRIC MISTRAL

Lauréat du prix Nobel

L'année 1904 aura été particulièrement glorieuse pour le félibrige. Au mois de Mai dernier, les félibres, célébraient leur cinquantenaire et se groupaient, à la fontaine de Vaucluse, autour de Mistral, fondateur, et parrain du félibrige,de Mistral qui, depuis un demi-siècle, n'a jamais cessé de donner autour de lui l'admirable exemple d'une fidélité immuable aux principes de sa vingtième année.
Ces jours derniers, l'illustre poète provençal recevait une haute récompense, dont l'éclat rejaillit sur sa chère Provence et sur le félibrige qu'il a fondé : le prix Nobel pour la littérature était partagé entre lui et le célèbre écrivain espagnol. Echegaray.
En couronnant Mistral, le jury du prix Nobel a voulu rendre hommage non seulement au génie épique du poète, mais à cette vie si belle, si simple et si digne qui s'est écoulée tout entière sur le sol natal. Car Mistral ne s'est jamais laissé séduire par l'appât de la gloire. Il n'a pas couru vers les grandes villes pour y chercher la renommée, c'est la renommée qui est venue a lui dans son village.
Décentralisateur convaincu, il a prêché l'exemple, et le « mas » de Maillane qui l'a vu naître l'abritera jusqu'à son dernier jour. Combien la gloire d'un tel homme est plus féconde et plus sûre de sa pérennité que tant de célébrités d'un jour consacrées par le snobisme des grandes villes !

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La gloire de Mistral?... Elle en est presque à son cinquantenaire, elle le aussi, car Mireille, le chef-d'oeuvre du poète, date de 1859.
« un grand poète épique est né, s'écriait alors Lamartine... un vrai poète homérique dans ce temps-ci, un poète né, comme les hommes de Deucalion, d'un caillou de la Grau, un poète primitif dans notre âge de décadence, un poète grec à Avignon, un poète qui crée une langue, d'un idiome comme Pétrarque a créé l'italien, un poète qui, d'un palois vulgaire, fait une langue classique d'images et d'harmonies, ravissant l'imagination et l'oreille.. »
L'enthousiasme du chantre d'Elvire était justifié. Un poète était né, en effet, dont le génie s'affirma de nouveau dans Calendal, dans les Iles d'or, dans Nerte et dans le Poème du Rhône.
Mais le poète se doublait d'un amoureux fervent de la terre natale et d' un ardent traditionniste Mistral avait reconstitué la belle langue d'oc pour son propre usage ; il voulut que cette reconstitution fût un monument durable. Et de cette pense pensée naquit l'oeuvre de sa vie, son Trésor la félibrige.
« Avant Mistral, a dit justement M. Paul Mariéton, l'illustre et vénérable langue d'oc était dans l'état misérable des arènes d'Arles et de Nîmes aux premières années du dix-neuvième siècle. Dégradées, chancelantes, envahies par des masures parasites, leurs lignes pures disparaissaient sous cette lèpre immémoriale. Un jour vint où le Goût, reprenant sa maîtrise, balaya toutes ces bicoques, restituant, à la splendeur les amphithéâtres des vieux Romains. Ainsi, depuis cinq siècles, des patoisants barbares souillaient les lettres provençales. Suivi d'ardents et lettrés patriotes, Mistral est venu qui les a dispersés, rendant à la lumière et à la beauté les élégances attiques de l'édifice des aïeux et le consolidant pour l'usage des temps nouveaux... »
Lamartine avait dit vrai : Mistral, comme Pétrarque, avait, d'un idiome, créé une langue, et c'est toute la richesse ce sont toutes les splendeurs de cette langue qu'il a répandues sur ses chefs-d'oeuvre et renfermées, enfin, dans son Trésor du félibrige.

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Quel usage le poète va-t-il faire du prix Nobel ? Il nous l'a dit. Ce prix servira à donner un abri digne de lui à son Museon Arlaten.
Ce musée est encore l'oeuvre de Mistral. Après avoir décrit, dans ses poèmes, les moeurs, les coutumes du pays d'Arles et de la Provence, l'illustre poète a voulu recueillir, comme en un sanctuaire, toutes les reliques du passé provençal et sauver tout ce qui, au point de vue ethnographique, reste encore de sa chère Provence.
Ainsi demeureront, pour les générations futures, les souvenirs sacrés des choses d'autrefois et des coutumes des aïeux. Ainsi le prix payé à la gloire du poète aura servi à assurer la conservation de toutes ces traditions, dont l'ensemble constitue ce que Mistral a, dans sa Coupo santo, dénommé justement " la glori dou terraire " , la gloire du pays.

Le Petit Journal illustré du 25 Décembre 1904