PAR TRENTE DEGRÉS AU-DESSOUS DE ZÉRO

L'Arbre de Noël de nos amis


Les deux plus grandes fêtes de l'année, en Russie, sont la Noël et Pâques.
Et la première est peut-être plus générale encore, plus solennelle et plus unanimement célébrée que la seconde.
Au surplus, l'hiver est, on Russie, la vraie saison des plaisirs, non seulement à cause des réunions et des bals qui, de même que chez nous, se multiplient à cette époque, mais aussi à cause de la salubrité de la température. La neige commence à tomber en Novembre; elle couvre la terre et ne fond plus; en voilà pour jusqu'au milieu ou la fin d'Avril. Et, dans l'atmosphère saine et pure, on sort, on patine; les traîneaux sillonnent les promenades.
Et les soirées joyeuses se succèdent. Partout on danse; et l'on chante aussi. On chante le joli air, devenu national, du Frima; russe :
" 0 frimas ! frimas! vrai Russe! Tu ne marches qu'avec des gants et un bonnet de peau de mouton.
0 frimai! frimas! Tu as les joues fraîches! Tu t'abrite le corps, mais tu as le coeur chaud... "
Aux approches de Noël, les fêtes intimes se multiplient. Et l'on voit renaître toutes ces traditions si touchantes dont je vous parlais ici même la semaine dernière, toutes ces coutumes naïves qui se rattachent à la fête de la Nativité.
La coutume de l'arbre de Noël est de celles que la jeunesse voit revenir, avec une joie toujours nouvelle; et les sapins, arrachés aux forêts de l'Ukraine, sont expédiés en masse vers les villes où l'on suspend à leurs branchages rugueux les jouets et les présents, parmi les lanternes multicolores.
Cette année, par une attention charmante des femmes russes, la fête de Noël a dépassé les bornes de l'immense empire; et les enfants de la Sainte Russie, que les sombres nécessités de la guerre ont entraînés au fond de l'Extrême-Orient, l'ont eux-mêmes célébrée avec l'éclat accoutumé. Là-bas, à Moukden, à quelques portées de fusil des avant-postes japonais, sous la menace constante des bombes et des schrapnels, on a dressé l'arbre traditionnel.
Ses branches ont été chargées des innombrables cadeaux que Noël, par la volonté des dames russes, avait apportés dans les wagons du transsibérien.
Et les soldats, ces enfants de la patrie russe, ces grands enfants naïfs et héroïques, sont venus, tout émus, recevoir des mains de leurs officiers tous ces objets si chers, tous ces présents précieux qui leur apportaient un peu du parfum de la terre natale et du foyer familial

Le Petit Journal illustré du 1er Janvier 1905