DANS LES TRANCHÉES DE PORT-ARTHUR
Mort héroïque du lieutenant russe Alexander
Avant qu'éclatât le conflit russo-japonais,
les stratégistes et tacticiens en chambre déclaraient volontiers,
à tout venant, que l'arme blanche était à jamais bannie
des guerres modernes, et qu'on se fusillerait, désormais, sans même
se voir. Or, en dépit des dissertations de ces savants personnages,
les corps à corps sont plus fréquents et plus terribles que
jamais, et la baïonnette, l'arme préférée du vieux
Dragomiroff, n'en reste pas moins la reine des batailles, tout ait moins en
Extrême-Orient.
Les derniers combats livrés sous Port-Arthur nous en ont apporté
une preuve nouvelle. Pendant plusieurs jours, presque sans discontinuer, Russes
et Japonais se heurtèrent dans d'épouvantables mêlées.
Certains retranchements, au cours de la même nuit, passèrent
deux et trois fois en des mains différentes emportés parles
Russes, repris par les Japonais, reconquis de nouveau par les premiers assaillants.
Et, à chaque assaut, l'arme blanche fit son oeuvre sanglante, jonchant,
les tranchées de blessés et de morts.
Il y eut là d'horribles boucheries, et, de part et d'autre, des actes
admirables d'héroïsme et de sacrifice.
C'est au cours d'un de ces combats que se place l'incident glorieux qui fait
l'objet de notre gravure de huitième page.
Repoussés déjà deux fois au pied d'un retranchement japonais,
les débris d'un régiment russe hésitaient à s'y
précipiter une troisième.
C'est alors que le lieutenant Alexander s'approcha seul du retranchement.
Les Japonais, qui l'occupaient, accoururent tous de son côté,
en le menaçant de la pointe de leurs baïonnettes.
Loin de fuir, le vaillant officier se laissa tomber sur les baïonnettes,
et saisissant à pleins bras ces fusils, il immobilisa les ennemis assez
longtemps pour que ses soldats, accourus à sa voix, pussent pénétrer
dans la tranchée et en exterminer les défenseurs.
Acte sublime, de sacrifice qui mérite d'être inscrit par l'armée
russe au Livre d'or de l'héroïsme.
Le Petit Journal illustré du 1er Janvier 1905