GLOIRE AUX VAINCUS!


Les Japonais accordent les honneurs de la guerre au général Stoessel et aux héroïques défenseurs de Port-Arthur


Après un siège de plus de huit mois, durant lequel la garnison et les habitants ont supporté avec un stoïcisme héroïque les plus terribles souffrances, Port-Arthur a dû capituler.
Mais cette longue et glorieuse résistance a suscité l'admiration du monde entier.
A la nouvelle que le général Stoessel était décidé à rendre la ville qu'il avait défendue si vaillamment, le mikado a fait télégraphier au général Nogi, commandant les troupes d'investissement, qu'en raison des louables service que le gouverneur de Port-Arthur avait rendus à son pays il désirait qu'on lui accordât les honneurs militaires.
A l'heure douloureuse de la capitulation, les héros de Port-Arthur ne pouvaient espérer plus précieux témoignage d'estime et de respect que celui qui leur vient des ennemis eux mêmes.
Le général Stoessel a été, en vérité, l'âme de la résistance. Actif, intrépide, infatigable, on le voyait jour et nuit sur les points les plus menacés. Les habitants l'avaient surnomme «l'homme qui ne dort jamais ». Il semait au tour de lui la bonne humeur, la force et la résignation ; il inspirait à tous la confiance et l'espoir, alors que lui-même, depuis longtemps n'espérait plus. Il a été, en un mot, le type de ce gouverneur de ville assiégée dont parlait jadis Richelieu et qui, suivant le mot du grand cardinal, devait avoir « le coeur aussi fort que ses remparts ».
Avec l'espérance d'être secouru, Stoessel eût peut-être pu résister encore, tant il avait d'ascendant sur les troupes et sur les habitants. Mais Kouropatkine est à Moukden et la flotte de la Baltique n'a encore atteint que Madagascar. Et la position des assiégés n'était plus tenable. Les hôpitaux regorgeaient de malades; quinze mille blessés encombraient les rues ; il restait à peine cinq mille combattants valides dont beaucoup étaient convalescents, et les munitions commençaient à manquer. Comment résister dans de telles conditions aux assauts d'une armée formidable dont les forces se renouvelaient sans cesse.
Stoessel dut se résigner à convoquer un conseil de guerre. Au milieu des sifflements des obus à mitraille qui labouraient toute la ville, les officiers, épuisés, se' réunirent solennellement.
La scène, rapporte un témoin, fut profondément pathétique. La plupart de ces hommes indomptables, qui venaient de supporter stoïquement pendant huit mois toutes les tortures du siège, sanglotaient de douleur. On fut vite d'accord, et le sentiment général fut de capituler avec honneur ou de mourir en combattant.
La garnison russe, en raison des honneurs de la guerre qui lui étaient accordés, n'a donc rendu ses armes qu'après être sortie de la ville clairons sonnants et drapeaux déployés.
Ainsi s'est accompli le destin de Port-Arthur. La ville est aux mains des Japonais, mais son admirable résistance restera comme une des pages les plus belles dans l'histoire de l'héroïsme; et, des ruines de la cité, a surgi la gloire impérissable de ses défenseurs.

Le Petit Journal illustré du 15 Janvier 1905