L'HIVER EN MANDCHOURIE
Une patrouille russe découvre des soldats
japonais morts de froid.
Après une accalmie de quelques semaines, les
hostilités viennent de reprendre devant Moukden, en dépit des
rigueurs de la température : on a souffert, en effet, pendant ces derniers
jours, du froid le plus intense qu'on ait ressenti depuis le commencement
de la guerre.
Au temps Jadis, l'hiver était souvent saison d'armistice, acceptée
comme telle, du consentement mutuel des belligérants. Pendant la guerre
de Sept Ans, ne vit-on pas les troupes du maréchal de Soubise rester
cantonnées, pendant tout l'hiver, en attendant le retour du printemps
pour reprendre la campagne ?
Il n'en est plus de même aujourd'hui. L'ardeur belliqueuse des adversaires
ne souffre nul répit.
En ce moment, le froid qui règne en Mandchourie varie de 15 à
25 degrés au-dessous de zéro. Et 500,000 hommes ont cependant
l'affreux courage de s'entre-égorger par cette température épouvantable.
Les fleuves sont gelés, et la couche de glace est tellement épaisse
qu'elle supporte le passage des bataillons et le poids énorme de l'artillerie.
La neige couvre d'un épais manteau les vallées du Cha-Ho et
du Liao. Et la bataille qui eut récemment pour théâtre
le village de Sandepou et les hauteurs environnantes a été des
plus acharnées, en dépit d'un froid de 20 degrés.
Les Russes trouvent dans cette température le meilleur des auxiliaires.
Ils ne sont pas seulement accoutumés à y résister, ils
connaissent encore, infiniment mieux que leurs adversaires, les moyens de
mettre à profit les rigueurs de la température.
L'hiver mandchourien ne les a point surpris. Ils avaient, dès longtemps,
pris leurs dispositions pour le recevoir.
Cantonnés dans des huttes de terre, qu'ils ont extérieurement
doublées d'une épaisse couche de neige, ou terrés dans
des tranchées profondes, ils n'avaient rien à craindre de lui.
Du côté des Japonais, et malgré la prévoyance tant
de fois remarquée des états-majors, il n'en a pas été
toujours de-même. Sur certains points du front d'Oyama, des imprudences
ont été commises. On s'y est pris trop tard pour creuser la
terre durcie par la gelée, et les Nippons n'ont pas su, comme leurs
adversaires se servir de la neige pour s'abriter contre le froid.
C'est ainsi que, récemment, dans une tranchée peu profonde aux
avant-postes, une patrouille russe a trouvé plusieurs soldats japonais
morts et réduits par la gelée à l'état de momies.
Et l'hiver mandchourien est loin de toucher à sa fin. Pendant plus
de deux mois encore, il sévira, cruel, impitoyable, ajoutant ses horreurs
aux horreurs de la guerre.
Le Petit Journal illustré du 12 Février 1905