TRAGIQUE ÉPISODE D'UN COMBAT DEVANT MOUKDEN

Officier russe atteint de folie

Parmi les officiers tués au cours des derniers engagements sous Moukden, les Russes ont eu à déplorer la perte du colonel Pecouta, chef d'état-major du général Kondratovitch.
Le général a rendu compte, dans les termes suivants, de cette mort à la fois navrante et glorieuse :
« Le colonel, dit-il, était un brave qui, souvent empêché par ses fonctions de se mêler à la bataille, cherchait toutes les occasions de s'échapper, de se jeter dans l'action. Quand l'attaque de cette nuit fut décidée, il me demanda lui-même d'y participer, et il y participa tellement que son corps est resté là-bas, aux mains des Japonais. Les informations recueillies plus tard, les dires des blessés nous ont fait connaître cette fin véritablement tragique. Pecouta était un homme de trente-cinq ans, timide d'aspect, aux yeux très doux, d'une grande ardeur au travail.» Les insuccès de la campagne, les difficultés invincibles que trouvait l'armée russe, l'affectaient très péniblement. Il en souffrait comme d'une cruelle blessure. A quelqu'un qui lui demandait un jour comment allaient les affaires dans le 1er corps, un de ses camarades ayant répondu qu'elles n'allaient pas mal, Pecouta, si modéré d'ordinaire, s'emporta contre lui :
« Comment peux-tu dire, cria-t-il, que la situation est bonne, quand nous sommes sans cesse battus par les Japonais? »
Lorsque, dans cet assaut nocturne, les soldats russes, sous le feu ennemi, reculèrent il en rallia le plus grand nombre et les reconduisit à l'attaque :
« Vous n'avez pas honte, hurlait-il, de lâcher pied devant des Japonais! »
Et il partait en avant, entraînant les hommes hésitants. Blessé déjà, à ce qu'assurent les témoins, le dos de sa capote tout couvert de sang, il marchait vers les tranchées prochaines, tendu dans un héroïque effort. Mais, de nouveau, la vague des fuyards le roulait en arrière, et alors, sentant bien que tout était vain, qu'on se butait à l'impossible, mais obstiné quand même, entêté, Pecouta devint fou. On le vit, raconte un officier, qui taillait de son sabre les cadavres, qui leur ordonnait; avec des insultes, des sarcasmes, de se relever tout de suite, de s'élancer sur les Japonais. Il demeura seul ainsi, vociférant, gesticulant et, tout d'un coup, s'abattit lui-même au milieu des morts ! ... »

Le Petit Journal illustré du 26 Février 1905