A TOKIO
Incendie du théâtre Chikichima
Nombreuses victimes
Les Japonais, qui ont pris à l'Europe tant de
belles inventions, ont oublié de demander à Coquelin aîné
- qui, à ce qu'il prétend, l'a découvert - le moyen de
rendre les théâtres incombustibles.
Une des principales salles de spectacles de Tokio, le théâtre
Chikichima, vient, en effet, d'être complètement détruit
par un incendie.
Les théâtres japonais, quant à leur construction, ne ressemblent
en aucune façon aux nôtres; et l'Européen qui y pénètre
pour la première fois se sent quelque peu dépaysé. Les
places du rez-de-chaussée, les galeries et les loges ne sont pas disposées
en hémicycle; la salle est rectangulaire. Les fauteuils d'orchestre
sont remplacés par des compartiments à casiers, où les
spectateurs vont s'accroupir sur des nattes, après avoir eu soin de
remplacer par des pantoufles leurs souliers aux bruyantes semelles de bois.
De la scène, élevée d'un mètre environ au-dessus
du niveau du rez-de-chaussée, part une large allée qui la met
en communication avec l'entrée de la salle.
Les Japonais, toujours gracieux en leur langage, appellent cette allée
Hana Michi (chemin des fleurs).
Ce " chemin des fleurs " est devenu, du fait de l'incendie du théâtre
Chikichima, le chemin de la mort pour un certain nombre de spectateurs.
***
On jouait, ce soir-là, un drame patriotique, comportant une apothéose
avec pétards, feux de bengale et autres dangereux accessoires. Par
suite de quelque imprudence, ce feu d'artifice s'enflamma avant la fin et
communiqua l'incendie aux décors et aux loges des musiciens qui se
trouvent sur la scène.
Les théâtres japonais n'étant pas munis de rideau de fer,
le feu gagna la salle en moins de deux minutes, déterminant une épouvantable
panique parmi les spectateurs. Les issues des salles de spectacles au Japon
étant toujours très larges, le public eût pu peut-être
se sauver.
Mais les portes étaient fermées. Suivant l'usage japonais, les
spectateurs ne paient leur place qu'en sortant; et les employés du
théâtre, fidèles à leur consigne, refusaient d'ouvrir,
prétendant se faire payer avant de laissez s'écouler la foule.
Une lutte acharnée s'engagea entre ceux qui ne voulaient pas être
brûlés et ceux qui réclamaient l'argent.
Le public finit par forcer les portes, mais dans la terrible bousculade qui
s'était produite, une trentaine de personnes, des femmes et des enfants,
pour la plupart, furent écrasées, étouffées, ou
périrent asphyxiées.
Le régisseur, sa fille, sa domestique et deux acteurs sont morts dans
l'incendie. L'ouvrier qui préparait le feu d'artifice a perdu les deux
yeux.
Quant au théâtre, il a été dévoré
de fond en comble par les flammes.
Le Petit Journal illustré du 5 Mars 1905