La retraite
C'est le 9 Mars au soir que
Kouropatkine envoya l'ordre de retraite aux divers corps de son armée.
En raison des progrès offensifs des Japonais, il jugeait la position
impossible à garder.
Nodzu et Oku, ayant refoulé le centre russe, s'étaient emparés
de la colline Poutiloff et de tous les retranchements au Sud du Houn-Ho, et
ils écrasaient l'armée du général Bilderling sous
le feu de leurs grosses pièces d'artillerie. A droite, Nogi repoussait
l'armée de Kaulbars; à gauche, Kuroki, par un mouvement habile,
coupait la route de Moukden à Founchoun et mettait l'armée de
Liniévitch dans l'impossibilité de résister plus longtemps.
Pourtant, c'est la rage et le désespoir dans l'âme que les soldats
russes reçurent l'ordre de battre en retraite.
Le correspondant des Novoïé Vremia dit que, à l'armée
de Liniévitch, les soldats pleuraient d'avoir à abandonner les
positions où gisaient les deux tiers du détachement. Plusieurs
demandaient aux officiers pourquoi on devait rétrograder Nul ne pouvait
l'expliquer. On enviait le sort des camarades morts devant l'ennemi avec la
certitude que les positions resteraient aux Russes.
Le correspondant de la Rouss fait des constatations analogues et trace
un effroyable tableau de la retraite sur la route mandarine encombrée
de milliers de chariots et de bagages, auxquels venaient se mêler les
batteries, les parcs d'artillerie et les troupes fuyant en déroute.
La panique était encore accrue par la canonnade des Japonais qui, au
village de Pou-Ho, tiraient sur l'amas confus des véhicules, des hommes
et des chevaux, les culbutant les uns sur les autres.
***
Pourtant, en dépit
des difficultés de la retraite, l'armée russe a pu gagner Tiéling.
Mais l'amoindrissement total qui résulte pour elle de cette lutte gigantesque
est d'environ 140,000 hommes. Sur ce chiffre, on compte 40,000 prisonniers.
Malgré la défaite, il faut reconnaître que la grandeur
des sacrifices subis par les troupes russes, honore du moins leur inaltérable
bravoure.
Elles ont lutté sans
relâche pendant plus de dix jours et, bien que cernées à
demi, bien que diminuées du tiers de leurs effectifs, elles ont pu
effectuer leur retraite sans capitulation.
Une fois de plus, elles ont mérité que leur soit appliqué
le mot de Napoléon : « Honneur au courage malheureux ! »
Le Petit Journal illustré du 26 Mars 1905